Home > Littérature > Ni pena ni miedo

de Denis Cardinaux  

Il est des moments où pour ne pas perdre l’espérance nous avons besoin de grands rappels. C’est peut-être pour cela que le 19 octobre dernier se déroulait une cérémonie étrange dans le désert d’Atacama[1]. Il s’agissait de célébrer les vingt ans de l'une des opérations de Land Art les plus importantes au monde[2], à laquelle de nombreux artistes chiliens avaient collaboré en vendant des œuvres. A environ soixante kilomètres au sud d’Antofagasta le dernier vers de La vie nouvelle[3] de Raúl Zurita fut tracé par des engins lourds sur plus de trois kilomètres, de sorte qu’il n’est visible entièrement que depuis le ciel[4].

« Ni peine ni peur », c’est ce qu’affirme cette phrase aussi brève qu'est longue et ambitieuse l’œuvre à laquelle il appartient (voir deux poèmes ici : https://terredecompassion.com/2013/08/09/la-vie-nouvelle-raul-zurita/). Comme les géoglyphes des peuplades ancestrales, ce poème est à la fois le témoignage d’une époque et l’affirmation de la victoire de la vie et du pardon sur le deuil et la terreur. Le poète affirmait dans une interview : « Il y a beaucoup de significations possibles. L’une d’entre elles, pour moi, c’est la présence qu’a toujours le désert, comme l’image la plus exacte et la plus profonde de l’âme contemporaine : son néant apparent, mais il suffit d’un changement de lumière au lever du soleil pour qu’il se transforme absolument en autre chose. Aridité totale, et en même temps, une certaine grandeur qui subjugue »[5].

A la fin du rite d’offrande à la terre[6] qui concluait cette opération de restauration destinée également à faciliter l’accès au lieu, le poète, très ému affirmait : « Ce fut un moment merveilleux, très fort, par l’intermédiaire duquel un être humain comme les autres prend part au désert et prend part à tout. Je suis très ému et très reconnaissant. Ce ciel qu’on voit avec un bleu si intense qui s’unit ici avec ces tons multiples, infinis, du désert, ne peut pas faire autre chose que de nous apporter un message de paix, d’espérance et de solidarité ».

Pour que l’espérance ne défaille pas, il faut parfois aller jusqu’à écrire des poèmes au bulldozer. Que tous ceux qui sont assaillis par l’épreuve se souviennent qu’en un geste d’amour prodigieux, un poète a tracé ce témoignage sur le visage desséché de notre vieille terre, comme un message écrit en notre nom à tous pour que le ciel en reçoive la prière secrète.

 


[1] On pourra trouver d’autres détails sur ces deux articles en espagnol : http://www.region2.cl/rescataran-geoglifo-de-raul-zurita-ni-pena-ni-miedo/ ; http://www.elmensajero.cl/?p=38623
[2] Cette vidéo montre l’exposition « Ecritures matérielles » (avril 2013) qui reprend tous les travaux de Zurita sur la nature.

Voir également l’article suivant : http://www.bibliotecanicanorparra.cl/eventos/exposicion-raul-zurita-escritura-material/
[3] Raúl Zurita, La Vida Nueva, Editorial Universitaria, Santiago 1994, 536 pages.
[4] Ce n’était pas le premier essai de Zurita. Le 2 juin 1982, cinq avions avaient tracé dans le ciel de New York une étrange litanie dont les photos scandent son chef d’œuvre : Anteparaíso. Vous découvrirez cette réalisation dans ce document exceptionnel :

 

 

[5] Piña Juan Andrés, Raúl Zurita : abrir los ojos, mirar hacia el cielo, en Conversaciones con la poesia chilena, pehnes, Pehuén Editores, Santiago, 1990, 197-233
[6] «El pago a la tierra» (littéralement : le tribut ou le paiement à la terre) est un rite aymara encore pratiqué aujourd’hui.

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