L’ancien premier ministre Tony Blair reconnaît des erreurs dans l’évaluation du régime de Saddam Hussein en 2003 et des conséquences de sa chute. Il présente ses excuses pour avoir ainsi engagé son pays dans un conflit hasardeux qui a largement contribué à la naissance de l’Etat Islamique. Le fait est assez rare pour être souligné. Réalisée par Fareed Zakaria sur CNN il y a trois jours, son interview a déjà fait le tour du monde. Elle est désormais complétée par une tribune de l’intéressé qui s’explique à nouveau.
En introduction d’un documentaire intitulé, Long Road To Hell, America in Iraq (La longue route pour l’Enfer, l’Amérique en Iraq), diffusé mardi 27 octobre sur CNN, Zakaria interroge Tony Blair sans détour : « Etant donné que Saddam n’avait pas d’armes de destruction massive, était-ce une erreur de faire la guerre ? » L’ancien premier ministre a alors cette réponse qui ne laisse pas de surprendre le monde :
« Je peux présenter mes excuses pour le fait que les renseignements que nous avions étaient faux. Bien qu’il [Sadam Hussein] ait largement utilisé des armes chimiques contre son propre peuple et contre d’autres, l’organisation que nous pensions trouver là-bas n’existait pas dans la forme où nous pensions la trouver. Je présente aussi mes excuses parce que nous nous sommes trompés dans la manière de planifier cette guerre, et pour notre erreur d’évaluation sur ce qui devait arriver, une fois le régime tombé ».
Ce n’est évidemment pas la première fois qu’un chef d’Etat reconnaît publiquement les torts de son pays et en demande pardon. En février 2000, devant la Knesset, le président Allemand, Johannes Rau avait demandé pardon au peuple juif, et regretté la responsabilité de son pays dans la Shoah. La démarche de Tony Blair est cependant une vraie nouveauté car il s’agit cette fois de faits récents concernant son propre mandat ministériel. C’est donc lui-même qu’il accuse ainsi, de même que son allié américain. Et, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne cherche pas de faux-fuyants. Concernant l’explosion actuelle du Moyen Orient, l’ancien premier ministre précise en effet au journaliste de CNN : « bien sûr, vous ne pouvez pas dire que ceux d’entre nous qui ont fait tomber Saddam en 2003 ne portent aucune responsabilité dans la situation de 2015 ».
Tony Blair ajoute cependant qu’il est difficile de juger l’ensemble de la situation et que le débat à propos de la politique menée alors par les belligérants n’est pas encore clos. Il précise ainsi que le printemps arabe de 2011 aurait probablement fait chuter le régime de Saddam et provoqué le même chaos que celui que connaissent aujourd’hui les irakiens. Par ailleurs, l’ancien ministre constate que les principales racines de l’Etat Islamique sont en Syrie et non en Irak. En définitive, il ne regrette pas d’avoir chuter Saddam de son trône de dictateur.
De tels aveux, effectués par un homme comptant parmi les plus puissants de notre temps, ne peuvent manquer d’apporter un réel réconfort auprès de tous ceux qui ont eu à souffrir, et qui souffrent encore des conséquences de cette guerre de 2003. Les Irakiens sont évidemment les premiers concernés, et particulièrement les communautés chrétiennes dont l’existence est aujourd’hui clairement menacée.
Par ailleurs, dans l’atmosphère actuelle marquée par la « tolérance zéro » vis-à-vis de tous ceux qui exercent des responsabilités, un homme politique qui reconnaît ses torts et en demande sincèrement pardon fait preuve d’un réel courage. A nos yeux, non seulement il ne perd pas sa légitimité – quel homme ne se trompe jamais ? – mais il met en lumière une réelle noblesse du service de l’Etat. Aucun homme, fut-il sur la plus haute marche du pouvoir, n’est infaillible, et ses administrés ne peuvent attendre de lui la perfection absolue. En reconnaissant s’être trompé, Tony Blair ne cherche pas à se dédouaner de ses erreurs avec légèreté, il exprime simplement qu’un ministre ou un chef politique ne sont que des hommes au service d’une cause qui les dépasse très largement, et pourtant que cette disproportion ne doit pas décourager les hommes de valeurs. Il fut d’ailleurs reconnu lui-même comme un chef d’Etat d’exception pendant les dix années de son gouvernement (1997-2007).
Il est possible aussi d’espérer que cette démarche de pardon influencera la génération actuelle au pouvoir dans la gestion de la crise au Moyen Orient. En faisant de tels aveux, Tony Blair ne cherche visiblement pas à se donner en exemple, il invite plutôt les dirigeants d’aujourd’hui à mesurer les conséquences gravissimes provoquées par les coups d’Etat contre des régimes pourtant critiquables. Le chaos est en effet pire que tout, car c’est la meilleure manière de favoriser les plus violents. C’est bien la question qui se pose aujourd’hui en Syrie. Nous ne pouvons qu’espérer que la voix de l’ancien premier ministre se fera entendre et que la question de la légitimité de Bachar el Assad ne sera pas mise en avant au mépris de la légitimité de l’Etat syrien, de son armée et de son peuple. Il s’agit aujourd’hui d’aider un pays et, à travers lui, toute une région, à se libérer du véritable fléau de l’Etat Islamique. Ce n’est donc pas le moment de se battre pour l’installation de la démocratie à l’américaine au Moyen Orient.
Personnellement, j'ai une question sur le sens de cette démarche. En 2003, Tony Blair a présenté le rapport sur la base duquel la guerre en Irak a été déclarée, rapport qui était soi-disant le fruit d'une recherche sérieuse, approfondie sur la situation du pays et en particulier sur ses fameuses "armes de destruction massive" et qui a été présenté à l'ONU par M. Powell, avec beaucoup de conviction. Il a été démontré que ce rapport était un copié-collé (aux erreurs typographiques prêt) de sources non authentifiées, et en particulier de l'article d'un étudiant. Si vraiment il est conscient du chaos qui est la conséquence de ces mensonges, il me semble que la réparation demande, non pas une demande de pardon, mais une action en justice. Certes, tout le monde peut faire des "erreurs" mais rien ne justifie le mensonge, et un politicien reste responsable de ses actions. Il n'est pas au-dessus de la justice, surtout quand des centaines de milliers de vie sont dans la balance. Cela concerne tout autant G. Bush et C. Powell, mais si Tony Blair veut faire une démarche de vérité, qu'il aille jusqu'au bout. Pas de confession sans pénitence, M. Blair.
Cher Paul, Les journalistes posent la même question que toi, mais il me semble que nous pouvons poser un autre regard sur la démarche de Tony Blair. D'une part, s'il est vrai que les renseignements donnés à propos des armes de destruction massive étaient faux, ce n'est pas Tony Blair en personne qui a déclaré la guerre sur cette base, mais bien l'Amérique: son gouvernement appuyé par son Congrès (avec le vote d'Obama notamment), et donc, à travers cette représentation, c'est le peuple américain, et non pas GW. Bush en tant que personne individuelle, qui s'est fait belligérant. Du côté anglais, la participation à la guerre a été plutôt symbolique, et a permis aux américains de trouver un appuis médiatique en Europe. Et de toute façon l'engagement anglais, sur la même base démocratique, s'est faite par le vote des chambres, l'appui du gouvernement… [Obama a voulu recommencer l’opération en Syrie il y a un an, et le congrès s’y est opposé. Il n’a donc pas pu engager ses forces armées à ce moment-là.] Ainsi, en toute justice, ce sont les peuples (ou au moins l'ensemble de leurs représentants, les députés, les sénateurs…) qu'il faut incriminer et non leurs chefs en tant que personne individuelle. Tony Blair n'est pas Napoléon… ni Adolf Hitler… Ainsi, ta conclusion "pas de confession sans pénitence, mr Blair", me paraît déplacée. Tu sembles crier avec les loups, à la recherche de quelqu'un qui doit payer. Cela dit, ces guerres (Afganistan, Irak, Lybie…) n'en sont pas justes pour autant, nous sommes bien d'accord. Mais, c'est précisément là que la démarche de Tony Blair est courageuse, car c'est exactement ce qu'il avoue, et nous ne pouvons qu'applaudir cet aveu. (nous attendons les aveux de Sarkozy et de la France pour la destruction de la Lybie, et ses conséquences…) Depuis des années nous voyons les démocraties occidentales faire la guerre en se cachant derrière une lutte pour la liberté des peuples, mais en réalité pour poursuivre des intérêts bien moins louables (énergétiques, économiques…), à la suite des Etats-Unis. Tony Blair est le premier de ces "suiveurs" atlantistes à s'accuser d'une telle erreur. C'est une véritable confession d'homme. Il ne peut plus entrainer son peuple à faire le même aveu, ni même parler en son nom, car il n'est plus aux commandes. Mais sa démarche ne peut qu'éclairer les consciences sur ce qu'il faut soutenir ou condamner à l'avenir: nos gouvernants actuels sont pris dans des problématiques similaires à celles qu'il a connues. Il appartient à la génération d'aujourd'hui de soutenir ou de sanctionner ce que font ses chefs, en fonction des lumières reçues. Posons-nous alors la question (et Dieu sait qu'elle est d'actualité, quand nous entendons cent fois par jour sur la radio française que notre président et son ministre des affaires étrangères font de Bachar le nouveau Saddam): voulons-nous continuer à jouer les faiseurs et desctructeurs de Régimes au Moyen Orient? Entreprendre des guerres hasardeuses? Par ailleurs, qu'un tel homme de pouvoir soit aussi vrai ne peut que nous réjouir, car nous sommes malheureusement habitués à des attitudes diamétralement opposées: des responsables qui se cachent, des menteurs, des mensonges, une obscurité entretenue, etc. La parole de Tony Blair émerge de ce maëlstrom comme une trouée de lumière. Pour la première fois nous entendons quelqu'un nous dire: "nous nous sommes trompés, et j'en demande pardon". Difficile de ne pas y voir quelque chose qui s'approche de l'attitude de confession.
J'ai toujours pensé que la présence supposée d'armes de destruction massive n'etait qu'un prétexte pour déclencher la guerre en Irak. Le vrai motif, c'est l'attentat du 11 septembre . Aprés l'attaque contre New-Nork, il fallait une victime expiatoire à la hauteur de l'affront fait à l'Amérique: le mollah Omar et les talibans étant du menu fretin , seul Saddam Hussein avait la carrure de l'emploi, même s'il n'était pour rien dans dans la destruction des Twin Towers. Ce que l'on peut reprocher à Tony Blair, c'est d'avoir suivi George W.Bush dans cette équipée, alors que Jacques Chirac et Gerhard Shröder n'étaient pas dupes.