Dans cette allocation de 2009, le poète François Cheng lisait trois poèmes de son livre "Vraie lumière née de vraie nuit", écrit en collaboration avec l’artiste coréen, le père Kim En Joong. Voici quelques extraits retranscrits de cette lecture publique, où l'académicien évoque la souffrance, l'art comme consolation et l'irruption de la vraie lumière dans la vraie nuit.
Des épreuves comme une bénédiction
« J’ai connu une période d’épreuve physique. A l’automne dernier, tout à coup, au terme de ces épreuves physiques, j’ai connu pratiquement une sorte d’effondrement sur le plan de la santé. Mais juste avant cela, j’ai eu le bonheur de rencontrer le Père Kim dont j’ai admiré le talent depuis toujours. Et à ce moment là il avait été question de faire quelque chose ensemble.
Entre temps, j’ai eu cette période d’enfermement qui a duré presqu’un an. Cette plongée en moi-même m’a fait touché le fond de l’abime. J’ai eu l’impression de rejoindre presque la racine de ce qui a toujours été la source de ma vie de quête. Donc, au lieu d’accepter une sorte de découragement, ou de résignation devant mon état de santé, j’ai compris que ces épreuves là ont été une sorte de bénédiction, qui me permet enfin de dévisager mon destin et en même temps d’essayer de dire les choses les plus essentielles.
A cette époque de Noël de l’année dernière le titre s‘est donc imposé à moi : « vraie lumière née de vraie nuit ». Donc à partir de là, de janvier à mai, tout en relevant ces problèmes de santés, j’ai consacré mon effort à composer cet ensemble de poèmes, et la composition de ces poèmes a contribué à cette remontée vers une possibilité de vivre. Au delà de l’expérience de souffrance, c’était une sorte de gratitude, et même de félicite, une cette sensation de renaître à la vie, à cette autre forme de vie. Le Viel homme est mort, et c’est une nouvelle naissance (…). »
Dans ces poèmes, il y a bien sûr des poèmes qui correspondent à cette lamentation d’un homme conforté à sa condition tragique, et en même temps, il y a cette affirmation de ce qui est donné là. Lorsque je dis « donné là » c’est à dire que tout à coup je me suis rendu compte que la vie est un don inouï et non un programme à exécuter. Et tout à coup, tout ce qui est donné là devient signe. La moindre chose devient signe. La lueur de l’aube qui se dessine entre les rideaux, une branche qui porte les premières ou les dernières fleurs selon les saisons, la moindre parole, les moindres visages… Car au bout d’un temps je commençais à sortir, et je rencontrais des gens dans la nuit.
A cause de cette vision de la vie comme don, l’instant, chaque instant tout à coup prend un relief extraordinaire. Parce que le don se manifeste toujours dans l’instant. (…) »
La véritable nuit
« Le titre (du premier poème) est "Vraie lumière née de vraie nuit". Pourquoi vraie nuit ? Justement, à cause du chemin que l’humanité à prix, il y a bien de fausses nuit. A Paris, il y a par exemple la nuit des lieux dits « de plaisir », éclairés aux néons multicolores, où les gens se saoulent pour oublier. Il y a la nuit des criminels, lesquels profitent de l’obscurité pour commettre leurs actes, il y a bien sûr la nuit de cristal des nazis, éclairée aux torches, et puis la nuit et le brouillard des camps… Ce sont de fausses nuits.
Et puis, il y a la vraie nuit. La nuit des mystiques. On se demande pourquoi les mystiques cherchent la nuit ? Est-ce parce qu’ils se complaisent dans l’obscurité ou bien, fasciné par quelque néant ou anéantissement ? Pas du tout. Si les grands mystiques recherchent la vraie nuit, c’est justement pour pouvoir assister à la naissance de la lumière comme au commencement du monde. C’est à dire : les grands mystiques ont la nostalgie de ce moment de la création où tout est donné à la fois. Il faut donc bien atteindre la vraie nuit pour assister à la naissance de la vraie lumière. »
(retranscrits à partir de l’enregistrement).
Une prière à la Transcendance
Nous voici dans l’abîme,
Tu en restes l’énigme.
Si Tu dis un seul mot,
Et nous serons sauvés.
Tu restes muet encore,
Jusqu’au bout sembles sourd
Nos cœurs ont trop durci,
En nous l’horreur sans fond.
Viendrait-elle de nous
Une lueur de douceur ?
Si nous disons un mot,
Et Tu seras sauvé.
Nous restons muets encore,
Jusqu’au bout restons sourds
Te voici dans l’abîme,
Nous en sommes l’énigme.
S’abaisser jusqu’à l’humus
S’abaisser jusqu’à l’humus où se mêlent
Larmes et rosées, sangs versés
Et source inviolée, où les corps suppliciés
retrouvent la douce argile,
Humus prêt à recevoir frayeurs et douleurs,
Pour que tout ait une fin et que pourtant
rien ne soit perdu.
S’abaisser jusqu’à l’humus où se loge
La promesse du souffle originel. Unique lieu
De transmutation où se frayeurs et douleurs
Se découvrent paix et silence. Se joignent alors
Pourri et nourri, ne font qu’un terme et germe.
Lieux du choix : la voix de mort mène au néant,
Le désir de vie mène à la vie. Oui, le miracle a lieu,
Pour que tout ait une fin et que pourtant
toute fin puisse être naissance.
S’abaisser jusqu’à l’humus, consentir
A être humus même. Unir la souffrance portée
Par soi à la souffrance du monde ; unir
Les voix tues au chant d’oiseau, les os givrés
Au vacarme des perce-neige !
Magnifique article. Ces poèmes nous laissent une envie de perséverer dans la nuit… mais encore faut-il trouver cette vraie nuit "pour pouvoir assister à la naissance de la lumière ".