La mort soudaine de Ruth Bader Ginsburg (surnommée « RBG ») le 18 septembre dernier a fait dramatiquement escalader la tension de la présidentielle américaine. Pourtant, il semblait bien que celle-ci avait atteint déjà son paroxysme, tant les deux camps traditionnels, démocrates et républicains, sont plus opposés que jamais. Plusieurs facteurs concourent à cela : d’une part, les juges de la Cour Suprême sont nommés à vie, de sorte que leur nomination est un des actes les plus conséquents qu’un président des Etats-Unis puisse poser – or Donald Trump a déjà nommé deux juges de la Cour Suprême, Neil Gorsuch (2017) et Brett Kavanaugh (2018). Par ailleurs, « The Notorious RBG » n’était pas n’importe quel juge de la Cour Suprême. Malgré sa réserve et son humilité, elle avait atteint dans la culture américaine un véritable statut de « pop star ». Figure emblématique, son nom et son visage sont attachés aux droits de la femme, et en particulier au droit à l’avortement. Enfin, l’opposition acharnée des démocrates à la nomination de Brett Kavanaugh en 2018 c’était soldée par d’interminables interrogatoires devant le Congrès qui, en divisant le pays, furent l’équivalent politique d’une séance de torture publique. Le souvenir extrêmement douloureux de ces journées plane comme un nuage sombre au-dessus de la juge que le président américain vient de nommer pour remplacer Ruth Bader Ginsburg : Amy Coney Barrett.
Antonin Scalia et Ruth Bader Ginsburg
Sur le papier, il est difficile de trouver un profil plus opposé à celui de la défunte. En effet, Amy Coney Barrett (48 ans) est une catholique pratiquante, résolument opposée à l’avortement comme à une ingérence excessive de l’Etat dans la vie privée des individus. Ruth Bader Ginsburg était une figure de proue du progressisme, qui prône une réinterprétation de la Constitution à l’aune des évolutions de la société, tandis que Amy Coney Barrett est une « originaliste », position selon laquelle la Constitution doit être interprétée en fonction de l’intention de ceux qui l’ont rédigée. Malgré cette opposition radicale des points-de-vue, les adversaires de Donald Trump sont, à contre-cœur, forcés d’avouer une certaine admiration pour cette mère de sept enfants, dont deux adoptés à Haïti (parmi lesquels un enfant trisomique). Il sera bien difficile de la dépeindre comme un monstre (stratégie qui avait déjà échoué dans le cas de Kavanaugh). Le discours qu’elle a prononcé samedi dernier à la Maison Blanche, en présence de son mari et de leurs sept enfants, a révélé une femme rayonnante et humble, preuve vivante qu’une femme peut accéder aux plus hautes fonctions sans renoncer à sa maternité. Mais plus encore que sa personnalité, ce sont les paroles qu’elle a prononcés au sujet de Ruth Bader Ginsburg qui font grincer les dents de ses opposants.
Amy Coney Barrett lors de son discours
Amy Coney Barrett fut l’assistante de Antonin Scalia, juge de la Cour Suprême décédé en 2016 d’une crise cardiaque. Conservateur, Catholique et « originaliste », Scalia avait néanmoins réussi a gagné le respect de ses opposants, tant par la justesse de ses jugements que par la bonté de sa personnalité. Dans son discours, Amy Coney Barrett rappelle notamment l’improbable et célèbre amitié qui l’unissait à… Ruth Bader Ginsburg. Dans un contexte où le désaccord idéologique des deux moitiés du pays s’accompagne d’une profonde et croissante hostilité, cette amitié nous rappelle que le véritable fondement de la société, et donc de la politique, ce ne sont pas les idées mais la personne. Avec humilité et gratitude, Amy Coney Barrett réaffirme cette valeur fondamentale de la personne qui ne peut jamais être réduite à une idéologie :
« Si je suis confirmée, je garderai à l’esprit qui est venu avant moi. Le drapeau des Etats-Unis flotte toujours en berne à la mémoire de la juge Ruth Bader Ginsburg pour marquer la fin d’une grande vie américaine. La juge Ginsburg a commencé sa carrière à une époque où les femmes n’étaient pas les bienvenues dans la profession juridique. Mais elle n’a pas seulement dépassé ces limites, elle les a détruites. Pour cela, elle a gagné l’admiration des femmes à travers le pays, et même partout dans le monde. C’était une femme d’un immense talent et d’une grande importance et sa vie de service public nous sert à tous d’exemple. Sa longue et profonde amitié avec le juge Antonin Scalia, mon propre mentor, a été particulièrement poignante pour moi. Sur le papier, les juges Ginsburg et Scalia étaient en désaccord farouche, mais ils n’en concevaient pas de rancueur personnelle. Leur capacité à maintenir une amitié chaleureuse et riche malgré leurs différences à même inspiré un opéra. Ces deux grands américains ont démontré que les disputes, même sur des questions de grande importance, ne doivent pas détruire l’affection. Dans mes relations personnelles et professionnelles, je m’efforce de respecter cette norme. »
Discours en entier d’Amy Coney Barrett, avec les sous titres en français
Une fois choisi par le Président, un juge doit être approuvé par le Sénat. Le vote sera précédé par une audition, dont il est prévu qu’elle commence le 12 Octobre. Le Sénat ayant une majorité républicaine (faible, mais suffisante), il est probable que la nomination de Amy Coney Barrett aboutira à son élection. A suivre…