Voici la deuxième partie de l’interview avec le professeur Sotiris Tsiodras au sujet du Coronavirus. Vous pouvez lire ici la première partie publiée hier sur Terre de Compassion.
Le professeur Sotiris Tsiodras
Pourquoi avez-vous choisi de citer le poème « Le bonheur se trouve dans la simplicité » dans votre discours d’adieu à la nation lors de votre dernier briefing télévisé à la fin mai?
Je crois que les choses simples – les petits moments de tous les jours – sont ce qui nous rendent heureux. J’ai choisi de citer ce poème car il exprime l’amour que je ressentais pour tous les peuples du monde qui ont tant souffert ; il exprime ma prise de conscience qu’avec la solidarité sociale, vous pouvez surmonter la peur et faire face à de telles menaces. Mon sentiment est que le bonheur se cache en soutenant les gens sur notre chemin commun. Il est caché dans une visite dans une unité COVID-19, où vous vous laissez guider plus par votre cœur que par la science, afin que les gens sachent que vous êtes là à leurs côtés ; le bonheur se cache dans le fait que vous et eux vivez ce combat ensemble. Et les patients en tirent de la joie, de la joie parce qu’ils savent que vous les comprenez, que vous compatissez avec eux et que vous êtes avec eux.
Dans ce même discours, en nous donnant votre appréciation, vous avez affirmé que vous avez toujours dit la vérité et que «la vérité ne peut pas devenir un mensonge ou une vérité mensongère ». Pourquoi pensez-vous que certains choisissent le chemin du mensonge plutôt que le chemin de la vérité ?
Je pense que certaines personnes choisissent une version différente des événements, même si les preuves scientifiques montrent qu’elle est fausse, parce qu’elle est plus satisfaisante pour eux ou correspond à leurs expériences et croyances personnelles. Malheureusement, certaines de ces hypothèses sont faites par des « enseignants mauvais et sans scrupules ». En tant que scientifiques de la santé, nous avons vu cela dans le mouvement anti-vaccination qui n’admet pas la vérité du fait que tant de vies ont été et seront sauvées grâce à l’utilisation d’un vaccin.
Maintenant, pourquoi accepter le mensonge comme vérité ? Peut-être pour justifier notre comportement, même si je ne veux pas m’avouer que notre monde fonctionne uniquement avec la logique de l’intérêt personnel. À travers le processus d’éducation, je veux accroître notre confiance dans les valeurs et les vérités scientifiques fondamentales. Mais il y a aussi la vérité spirituelle à prendre en compte, c’est-à-dire apprendre à souligner le bon côté des choses et non le mauvais. Mettre l’accent sur mes propres imperfections personnelles afin d’approcher notre propre vérité, tout en mettant l’accent sur le bien et le positif des autres autour de nous. Une vérité partielle est parfois pire que l’ignorance ; ce n’est pas seulement un mensonge, c’est aussi une déformation de la vérité qui est projetée. Et cela est pire que mentir.
Yuval Noah Harari écrit que « Covid-19 nous amènera probablement à redoubler d’efforts pour protéger les vies humaines. Car la réaction culturelle dominante face au Covid-19 n’est pas la résignation – c’est un mélange d’indignation et d’espoir. Les gouvernements ne sont de toute façon pas très bons en philosophie. Ce n’est pas leur domaine. Les gouvernements devraient vraiment se concentrer sur la construction de meilleurs systèmes de santé. Les médecins ne peuvent pas résoudre l’énigme de l’existence à notre place. Mais ils peuvent nous donner plus de temps pour nous y attaquer. Ce que nous faisons de ce temps dépend de nous » Quelle est votre réponse à ces pensées ?
J’aime la stratégie qu’il propose : un système de santé axé sur la protection des malades et la fourniture de soins de qualité. Une telle stratégie donnerait à l’humanité le temps de se remettre avec le moins de « blessures » possible, afin que nous puissions alors réfléchir, examiner la vie plus profondément et avancer. En terme de santé, il y a eu un effort depuis 10 ou 20 ans dans ce sens, basé sur la prévention avec un accent ultime sur la qualité de vie. En ce qui concerne la fourniture des soins de santé plus modernes, cela reste malheureusement cher. Je souhaite que nous puissions commencer lentement à égaliser les inégalités et mettre de nouvelles techniques de prévention et de traitement à portée de main afin que les gens aient accès à ce type de soins sans discriminations. Le système de santé pourrait nécessiter une part plus importante du budget qu’auparavant pour le plus grand bien de tous. Et je ne parle pas de la Grèce ici, mais du Monde entier.
Quel a été le moment le plus émouvant que vous ayez vécu pendant cette période ? Un moment qui restera gravé dans votre mémoire ?
Je n’oublierai jamais ces moments où mes collègues, moi-même et les fonctionnaires du gouvernement nous sommes retrouvés avec des personnes qui avaient besoin de notre présence. Je voulais faire partie de ces gens, faire partie de l’ensemble, comme ce fut le cas avec les Roms à Larissa et avec les immigrés à Kranidi. Ce sont des moments où vous devez mettre de côté votre souci du risque personnel. Il y avait aussi des endroits où je pouvais sentir la voix intérieure des patients qui m’appelaient, ou ma propre voix intérieure appelant à être avec eux, comme lorsque je visitais certaines unités de soins intensifs, en particulier au début de la pandémie, et que je me suis assis auprès de certains patients. Je me sentais mal à l’aise en présence de ces âmes qui ne pouvaient rien exprimer de ce qu’elles ressentaient. Tout ce que je pouvais espérer, c’était de me présenter comme une présence rassurante de l’humanité face à une réalité aussi muette. C’est vraiment très touchant ; vous vous sentez complètement faible et vous avez besoin de chercher une aide spirituelle.
Où pensez-vous que cette pandémie nous mènera ? À la solidarité mondiale tant vantée ou à l’isolement nationaliste?
J’espère que ce sera vers la solidarité, malgré le fait que nous n’ayons pas vécu cela ni quand nous avons tenté d’obtenir des approvisionnements de protection ni maintenant que les pays annoncent des accords d’exclusivité pour sécuriser les traitements et les vaccinations. J’espère que cette attitude changera et que nous commencerons à voir tout cela comme une opportunité d’avancer en tant qu’humanité unique plutôt que de voir l’avenir à travers le prisme du nationalisme local. Je pense que l’humanité doit prouver qu’elle est déterminée à investir dans la réactivité, car elle n’était pas prête. Accroître, par exemple, le potentiel de production de médicaments et de vaccins pour qu’il y en ait assez pour le monde entier et pas seulement pour un ou deux pays. Tout cela doit également être fait dans le contexte des organismes à but non lucratif et des brevets ouverts, et non dans l’intérêt des entreprises ou d’autres acteurs. Le vaccin doit nous rapprocher, pas nous éloigner davantage.
De quoi avez-vous peur pour le futur?
J’ai peur de la stigmatisation, de la distinction entre les personnes infectées et non infectées. J’ai peur des théories du complot et des gens applaudissant les demi-vérités plutôt que toute la vérité et, pire encore, applaudir le mensonge. J’ai peur que les gens deviennent intolérants au débat et à l’échange de vues scientifiques, et deviennent obsédés par leurs croyances. J’ai peur de la mort, même si j’ai de l’espoir dans une autre vie. J’ai peur, non pas de la mort par le virus mais de la mort spirituelle, du genre de mort vécue par des gens qui ne peuvent plus lire un livre ou un poème, qui ne peuvent plus pleurer ou chanter, qui ne sont plus enthousiasmés par la musique, qui ne peuvent pas sentir les parfums spirituels, qui ne peuvent plus aimer. Je pense que nous pouvons contrebalancer cela par la solidarité, par la recherche constante de la vérité et par un réexamen de la vie elle-même à la lumière de toute cette expérience ; nous réexaminer non pas en tant qu’individus seuls, mais en tant que partie d’un tout.
Comment accueilleriez-vous les visiteurs venant en Grèce?
Je leur dirais qu’ils viennent dans un beau pays, un pays que nous continuons de découvrir nous-mêmes. Notre pays est sûr et a l’expérience et la capacité de faire face à cette situation difficile. C’est un pays qui s’appuie sur la science, comme l’a montré la première phase de la pandémie, qui tente d’utiliser des données scientifiques pour mettre en œuvre des règles de confinement du virus et qui – grâce à tous les Grecs – a très bien réussi jusqu’à présent. Je tiens également à souligner que nous surveillons les développements, que nous avons considérablement renforcé notre infrastructure (et nos capacités de diagnostic avant tout), que nous participons à tous les protocoles de traitement mondiaux et que nous espérons que, lorsque la vaccination arrivera, nous ferons également partie de l’effort commun pour éradiquer ce virus de l’humanité afin que nous puissions être encore plus en sécurité. Je voudrais également mentionner qu’à l’heure actuelle, nous sommes l’un des pays les plus sûrs au monde. Je leur souhaite un merveilleux moment!
Article paru dans “Blue” – Aegean et Olympic Airlines en juin 2020.
Traduit par Ana Dakarios.