Home > Dossier Syriaque > Tur Levnon ( I ) : retour à la source de la langue syriaque

Tur Levnon ( I ) : retour à la source de la langue syriaque

Amine Jules Iskandar, fondateur de l’association Tur Levnon au Liban pour la préservation de la langue syriaque, répond à nos questions à travers trois articles qui seront publiés cette semaine. Il nous présentera le travail de leur association, ainsi que l’importance de cette langue syriaque née de la rencontre entre le grec et l’araméen, et son lien avec l’identité, la culture et la liturgie.

 

 

Qui êtes-vous ? Quel travail faites-vous ? Où habitez vous ? 

Amine Jules Iskandar, Architecte DPLG diplômé de l’Ecole d’Architecture de Versailles. J’ai été au Lycée ainsi qu’à l’université à l’étranger et j’ai décidé d’émigrer à l’inverse de tous les libanais, c’est-à-dire vers le Liban. Je suis père de trois filles et docteur à la Faculté des Beaux-Arts et d’Architecture de l’Université Libanaise tout en pratiquant au sein de mon atelier d’architecture à Beyrouth. 

Etudiant en première année d’architecture à l’université, j’ai commencé mes recherches sur l’identité de l’architecture libanaise. Car l’art est une expression de l’identité et des aspirations d’un peuple donné. Etonnamment, il n’y avait aucune source, aucune bibliographie sur le sujet du Liban. Tout semblait clair pour les architectures et les arts chinois, arabes, indiens, français, autrichiens, espagnoles… mais à part les deux ouvrages de Camille Aboussouan [1]Camille Aboussouan, L’Architecture Libanaise du XV° au XIX° Siècle, Les Cahiers de l’Est, Beyrouth,1985 rien sur le Liban. Du moins, rien sur sa culture et son identité. N’ayant pas étudié au Liban, je ne fus pas soumis à la version officielle de l’histoire du pays. J’ai dû chercher tout seul et découvrir seul. 

De passage par le Liban durant les vacances d’été, je rendais visite aux architectes du pays et aux écoles d’architecture. Leurs explications sur notre architecture étaient toujours conformes à la version officielle : En tant que pays arabe, nous sommes arabes et de culture arabe. Notre architecture n’est donc qu’une déclinaison de l’architecture arabe adaptée au climat des montagnes du Liban. Or, il y avait toujours ces nombreuses formes qui semblaient si étrangères au monde arabe et ne pouvaient se soumettre à l’idéologie imposée depuis 1943. Mais dans le domaine de l’idéologie, tout a une explication. Dans ce cas, les formes étrangères au monde arabe auraient été simplement importées d’Italie par le prince Faccardin II le Grand. 

Je ne pouvais accepter ces explications simplistes et je décidais de continuer mes recherches. Jusqu’au jour où je tombais sur un livre d’histoire [2] Walid Phares, Le Peuple Chrétien du Liban / 13 Siècles de Lutte, 1985 qui évoquait la langue parlée au Liban jusqu’au Moyen Age : Le Syriaque. S’il y a une langue, il y a donc forcément une identité, ce mystère si bien dissimulé depuis 1943. C’était le bout du fil qu’il me fallait suivre pour remonter jusqu’à la source. 

Ma grande trouvaille fut le Codex Rabulensis, ou évangéliaire de Raboula, composé en l’an 586. C’est un manuscrit syriaque appartenant à l’Eglise Maronite, aujourd’hui à la bibliothèque Médicéenne Laurentienne de Florence. Nous y retrouvons les trois arcades typiques de toutes les maisons et monastères du Liban. Elles y sont dessinées et peintes avec les mêmes détails et les proportions exactement similaires. Ici la langue syriaque épouse les formes architecturales et les expressions artistiques dans une exaltation de la beauté, d’une spiritualité particulière. 

Dès lors, je me sentais obligé de partager ce trésor avec mes concitoyens et tous les amoureux de la culture et de la vérité. Je commençais alors à travailler sur mon premier ouvrage « La Dimension Syriaque dans l’Art et l’Architecture au Liban » qui sera accompagné de cinq autres. 

« La Nouvelle Cilicie » [3]Ouvrage édité par le Catholicossat Arménien d’Antélias, 1999, Liban. 144p. (la présence arménienne au Liban et son témoignage architectural de l’antiquité à nos jours)

« Temples en blanc » [4]Ouvrage imprimé à l’Institut Saint-Paul à Jounié, 1999, Liban. 83 p. (les temples phéniciens d’époque romaine dans le Liban et la Béqaa)

« La dimension syriaque dans l’art et l’architecture au Liban »  [5]Ouvrage édité par l’Université Saint-Esprit – Kaslik, 2001, Liban. 295 p. (trois livres en un seul volume)

« Epigraphie syriaque au Liban. Volume 1. » [6]Ouvrage édité par Notre Dame University, Louaizé, 2008, Liban, 480 p. (Les inscriptions syriaques et garshouné dans la pierre au Liban)

Publication avec le Comité de la Culture Syriaque, du livre : « Le Syriaque sans professeur », 2006.

« Epigraphie syriaque au Liban. Volume 2. » [7]Ouvrage édité par Notre Dame University, Louaizé, 2014, Liban, 480 p. (L’épigraphie syriaque dans l’architecture libanaise)

En 2004 je fondais avec un groupe de militants le Comité de la Culture Syriaque tout en enseignant bénévolement la langue chez les Amis de la Langue Syriaque. Nous n’arrivions jamais à rassembler plus d’une dizaine de personnes à former. Il n’était pas possible de faire apprécier cette langue tant qu’elle était méconnue et enterrée vivante. 

En 2017, nous lançâmes alors l’Union Syriaque Maronite sous le nom de Tur Levnon. Regroupant plusieurs groupes disparates au Liban et en Diaspora, profitant du phénomène nouveau que sont les réseaux sociaux, et tablant sur une présence continue dans les médias de masse, nous avons entamer une nouvelle bataille. Il n’est plus question d’enseigner soi-même la langue et l’histoire du pays à quelques dizaines de personnes, mais il s’agit désormais d’œuvrer pour leur introduction dans le programme scolaire des écoles catholiques du Liban qui regroupent l’immense majorité des élèves chrétiens du pays.

C’est uniquement dans la reconstruction de fondations sures et solides, basées sur la connaissance de la langue et sur la vérité historique, qu’il est possible de percevoir quelques lueurs d’espoir dans la sauvegarde de notre pays. 

Que veut dire Tur Levnon ? Comment est née votre association ?

En voulant chercher un nom à l’Union Syriaque Maronite nous avons pensé à deux choses : 

  • Le Liban historique qui s’appelait jadis le Mont-Liban et qui était la montagne des Syriaques Chalcédoniens Maronites.
  • La montagne mésopotamienne de Tur Abdin aujourd’hui en Turquie, et foyer des Syriaques Monophysites Jacobites (aujourd’hui les Syriaques Orthodoxes). 

Nous avons voulu rendre hommage aux deux à la fois. Turo signifie Montagne, et Tur signifie Mont. Tur Abdin est donc le Mont des Adorateurs (du Christ). Nous avons repris cette forme qui était aussi le nom de notre montagne libanaise (Turo) du temps de nos aïeux. Tur Levnon est donc le Mont-Liban qui signifie Mont-Blanc ou de l’Encens. Cela s’écrit Tur Lebnon, mais le « b » est prononcé « v » selon les règles de l’alphabet Phénicien en usage pour écrire le Syriaque.

Le Mont-Liban est le Liban historique auquel les Français ont greffé en 1920 des territoires arabes périphériques afin de créer le Grand Liban. Le Mont-Liban aurait pu offrir sa culture, ses écoles et universités, son histoire richissime, son expérience, son héritage gréco-romain et byzantin, son attachement à l’Occident et son ouverture sur le monde pour édifier le Grand Liban et le propulser dans le XX° siècle naissant. Mais au lieu de cela, les particularités du Mont-Liban ont été considérées comme des obstacles à la construction du Grand Liban. Les différences n’étaient pas perçues comme une chance et un enrichissement mais comme une propriété à supprimer après en avoir nié jusqu’à l’existence. 

Il était demandé aux Chrétiens d’oublier leur langue syriaque pour se fondre dans une identité nationale commune. Mais pour supprimer une langue il fallait effacer l’histoire qui la raconte. Tout fut travesti et réécrit selon la version officielle qui confondait l’unité nationale entre les Hommes, avec la fusion nationale pareille à celle des métaux entre eux. Petit à petit on en vint à renier le sacrifice de nos martyrs. Il ne fallait jamais parler de Génocide si le crime était commis par des Musulmans, car cela pouvait heurter les sensibilités de nos concitoyens. Or les Ottomans qui firent mourir de faim la moitié de la population chrétienne du Liban étant musulmans, les manuels scolaires expliquèrent la Grande Famine « KAFNO » par une fâcheuse invasion de sauterelles. 

A l’heure où les peuples de l’ex Empire Ottoman formaient les versions modernes du grec, de l’arménien, de l’hébreu et du serbe, à l’heure où ils érigeaient des monuments à leurs martyrs des Grands Génocides des deux Guerres Mondiales, les Libanais s’adonnaient à leur effacement total et à l’ablation de leurs racines qui les rattachaient à leur montagne.

Il n’est pas possible pour un Chrétien de rester inerte face à la mort de son peuple et au reniement du sang de ses martyrs. Cela équivaut à un péché. A l’heure où nous faisons face à un danger existentiel, il n’y a plus aucune place à la détresse et au désespoir. Nous prîmes le philosophe Chrétien Charles Malik pour père spirituel et nous nous sommes rassemblés pour créer Tur Levnon, cette Union Syriaque Maronite. Syriaque, car c’est notre identité et notre langue à tous. Maronite, car le grec-orthodoxe qu’est Charles Malik a rendu les Maronites responsables du Liban. Ils sont le noyau sur lequel doivent se greffer les autres composantes. C’est ainsi que Tur Levnon rassemble autant de partisans et de militants Maronites, que de Grecs-Orthodoxes et Catholiques, et même des Syriaques-Orthodoxes et Catholiques.

L’Union Syriaque Maronite, Tur Levnon, fut annoncée d’abord à Bkerké chez le patriarche des Maronites, Mar Bechara Petros Rai, puis lancée à New York en présence de la Diaspora et de l’évêque maronite Gregory Mansour en mai 2017. Depuis, elle travaille assidument à la propagation du message à travers les messes et récitals maronites en langue syriaque qu’elle organise, les conférences, les programmes télévisés et les autres activités culturelles.

 

Amine Jules Iskandar en visite chez le Patriarche Raï

References

References
1 Camille Aboussouan, L’Architecture Libanaise du XV° au XIX° Siècle, Les Cahiers de l’Est, Beyrouth,1985
2 Walid Phares, Le Peuple Chrétien du Liban / 13 Siècles de Lutte, 1985
3 Ouvrage édité par le Catholicossat Arménien d’Antélias, 1999, Liban. 144p.
4 Ouvrage imprimé à l’Institut Saint-Paul à Jounié, 1999, Liban. 83 p.
5 Ouvrage édité par l’Université Saint-Esprit – Kaslik, 2001, Liban. 295 p.
6 Ouvrage édité par Notre Dame University, Louaizé, 2008, Liban, 480 p.
7 Ouvrage édité par Notre Dame University, Louaizé, 2014, Liban, 480 p.
Vous aimerez aussi
Une fenêtre sur le Liban
« A Night of Hope » pour le peuple Libanais
Saint Maron, l’ermite qui a fui les hommes mais que les hommes ont suivi
« La sainte Rencontre », lumière pour éclairer le Liban