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Tur Levnon ( II ) : retour à la source de la langue syriaque

Amine Jules Iskandar, fondateur de l’association Tur Levnon au Liban pour la préservation de la langue syriaque, présente dans ce deuxième article l’origine de la langue syriaque et son importance dans l’histoire du christianisme.

 

Un livre du XIe siècle écrit en serto syriaque.

 

Quelle est l’origine de la langue syriaque et quelle est son importance pour le Liban, pour son histoire ?

Le syriaque n’est pas une ethnie. C’est un ensemble d’Eglises constituées, en gros, de trois peuples de l’antiquité orientale : les Mésopotamiens, les Araméens et les Cananéens (Phéniciens). Lorsqu’une partie d’entre eux fut christianisée, elle adopta une nouvelle langue chrétienne appelée le syriaque. Ensemble, ils constituèrent le peuple Syriaque dont les terres furent conquises plus tard par les Arabes, les Turcs et les Kurdes. Leurs villages se retrouvèrent éparpillés de part et d’autre de la frontière turco-iraquienne, de la frontière turco-syrienne et au Liban. Ils connurent plusieurs génocides qui les décimèrent presque entièrement notamment durant la Première Guerre Mondiale avec leurs frères Arméniens et Grecs Pontiques. Seul le Liban qui perdit les trois quarts de sa population, échappa à l’extermination totale grâce à l’intervention militaire de la France, d’abord en 1860, puis en 1918 avec les alliés. 

Les Syriaques sont toujours assimilés à leurs Eglises. Bien que les frontières ne soient pas hermétiques entre ces trois peuples, nous pouvons dire en simplifiant, que selon qu’ils soient unis à Rome ou pas, les Mésopotamiens sont aujourd’hui les Chaldéens (catholiques) et les Assyriens. De même, les Araméens sont les actuels Syriaques Catholiques et Syriaques Orthodoxes. Et enfin les Cananéens ont donné les Maronites (catholiques) et les Roums (Grecs Orthodoxes puis Grecs Catholiques). Excepté pour les Roums, tous pratiquent encore la langue syriaque dans leur liturgie. 

La langue Syriaque

A l’époque du Christ les langues du Levant étaient dominées par une forte influence araméenne. Les populations de Canaan (Phénicie et Terre Sainte) ainsi que celles de Syrie-Mésopotamie pratiquaient différentes versions de l’araméen. La grande majorité de ces dialectes ont disparu de nos jours. Une seule forme a survécu en tant que langue et a donné une littérature riche et florissante. Il s’agit de l’Araméen d’Edesse appelé aussi Araméen Chrétien (l’actuel syriaque). Dans sa version occidentale, c’est une forme de l’Araméen qui s’est développé en terre de Canaan et a pris des formes phéniciennes notamment dans la prononciation du Olaph toujours en vigueur dans le nord du Liban. Mais c’est surtout un dialecte composé à partir d’un mélange de cet araméen cananéisé avec le grec de la région. 

Les populations du Levant ont toujours pratiqué le bilinguisme et le trilinguisme. Le mélange est tel qu’un libanais de nos jours ne se rend pas compte qu’il emploie autant de termes français et anglais que syriaques et arabes au sein d’une même phrase. Le même phénomène avait cours au début de l’ère chrétienne dans cette région très fortement hellénisée. Les Levantins parlaient un mélange de grec et d’araméen. 

Le phénicien et l’araméen étant des langues païennes, ils ne purent répondre aux besoins de la nouvelle religion chrétienne et à sa théologie qui exigeait un vocabulaire adapté. La philosophie grecque apporta tout l’enrichissement littéraire nécessaire. Le dialecte une fois écrit, est devenue une langue composée d’un lexique à 30% d’origine grecque. A langue nouvelle, identité nouvelle et désignation nouvelle. La région étant la Provincia Syria romaine de l’époque, les Chrétiens choisirent ce nom (Syria) pour leur langue et leur identité afin de se différencier des populations païennes alentour. L’araméen chrétien hellénisé devint ainsi le Syriaque, un nom qu’adoptèrent dès lors les populations chrétiennes.

A partir de là, leur langue ne fit que s’enrichir surtout au contact de la philosophie et des sciences grecques qu’ils traduisirent et léguèrent à l’humanité. L’énorme majorité des sciences chez les Arabes fut l’œuvre de ces Chrétiens Syriaques qui traduisirent d’abord vers le syriaque, puis du syriaque à l’arabe. Car cette dernière langue ayant encore un répertoire très limité, il fallut composer dans un premier temps en syriaque, pour ensuite fabriquer les termes arabes nécessaires, à partir de mots syriaques arabisés. 

Le Syriaque est donc une langue Chrétienne héritière de l’Antiquité Orientale hellénisée. Il est à la fois porteur de notre passé cananéen et de l’expression de notre foi chrétienne. Comme témoignage vivant de notre passé il est le garant de notre avenir. Sous le nom de Syriaque, écrivait Ernest Renan, et identifié avec le dialecte des populations du Liban, le Phénicien traversa le Moyen Age [1]Ernest Renan, L’Origine et le Caractère Véritable de l’Histoire Phénicienne qui porte le Nom de Sanchoniathon, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris, 1858, p. 243 . Il est, pour ainsi dire, le chainon entre le Liban moderne et les origines anciennes. Il dément la théorie de la rupture prônée par l’histoire officielle.  

References

References
1 Ernest Renan, L’Origine et le Caractère Véritable de l’Histoire Phénicienne qui porte le Nom de Sanchoniathon, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Paris, 1858, p. 243
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