Quelles sont les traces que les Maronites ont laissées dans tout le Liban, lorsqu’ils ont gravé leurs lettres syriaques, sur les églises, les monastères et dans le roc naturel ?
Dans notre campagne épigraphique à travers le Liban, nous avons rassemblé un total de cent inscriptions que nous avons classées en quatre groupes. Dans notre dernier article, nous en avons présenté deux : les épigraphes historiques et les Glilo ou épigraphes circulaires. Dans cet article, nous présenterons les deux autres : Les Tétragones ou épigraphes carrées et les Slivo ou épigraphes en croix. Ce troisième groupe rassemble des épigraphes appelées Tétragones (Tétragonos en syriaque), qui signifient carrés. Dans ces épigraphes, l’inscription tourne selon quatre directions successives, générant un carré.
Néemé : Carré Tétragonos (Saint-Georges)
Le monastère Saint-Georges de Néemé possède plusieurs inscriptions en lettres syriaques. L’une d’entre elles se trouve au-dessus de l’entrée de la sacristie. Il s’agit d’une rosace inscrite dans un carré. Et ce carré est formé par l’inscription qui couvre les quatre côtés.
Tétragonos (Gosta)
Mais la plaque dessinée par l’inscription de Mar Shalita à Gosta est encore plus intéressante. Si l’on regarde attentivement cette épigraphe datée de 1628, on remarque ce qui suit. La première partie du texte occupe toute la longueur en haut. La deuxième partie, à gauche, n’occupe verticalement que les deux tiers de la hauteur. La troisième partie, en bas, occupe également les deux tiers de la longueur. La quatrième partie n’occupe donc que la moitié de la hauteur du côté droit. Pourquoi le sculpteur n’a-t-il pas prévu exactement deux tiers pour chaque côté, les rendant ainsi tous égaux ? Pourquoi la première partie est-elle plus longue et la dernière plus courte que les autres ? S’agit-il simplement d’une négligence ? S’agit-il simplement d’une coïncidence ?
Daraoun
Pour répondre à cela, voici un cas similaire, de 1656 à Saint Antoine de Daraoun. On observe la même singularité : Pleine longueur sur le dessus ; Deux tiers sur le côté gauche ; Les deux tiers en bas ; Demi hauteur sur le côté droit. Il n’est plus possible de considérer la négligence. Ni la coïncidence.
La croix gammée
Il était possible d’avoir les quatre côtés égaux en utilisant le Tétraskelion, c’est-à-dire la forme de la croix gammée. Ce motif était très courant depuis l’Antiquité, comme dans les mosaïques grecques, romaines et byzantines. Cette conception simple nous permet d’obtenir quatre côtés égaux. Elle était très répandue au Liban et se voyait dans les mosaïques de nombreuses ruines de basiliques byzantines.
La Chaire de Bennaoui
Et si nous quittons le Liban pour rejoindre une autre zone syriaque ? Et quittons le 17ème siècle pour retourner au Moyen-Âge. Voici la Chaire de Bennaoui présentée par l’épigraphiste Chabot. Là encore, elle montre une tétragone, c’est-à-dire un carré. Elle montre aussi une croix au centre, comme à Gosta et à Daraoun. Et une fois de plus, le texte du dessus utilise toute la longueur, alors que le texte de droite n’occupe que la moitié de la hauteur. Nous sommes en présence de deux époques et de deux régions différentes. Et pourtant, la même composition ! S’il n’y a pas de coïncidence, si c’est intentionnel, quel en serait le but ? Il est probable que le dessin du tétraskélion ou de la croix gammée rend difficile la délimitation du début du texte car tous les côtés sont égaux. Mais en prenant des dimensions différentes pour chaque côté, le sculpteur définit clairement le début et la fin du texte.
Le quatrième et dernier groupe d’épigraphes est le Slivoyo, ainsi appelé parce qu’il est composé autour d’un Slivo, une croix.
Ehden
L’un des plus anciens exemples de Slivoyo se trouve à Ehden, au Moyen Âge, dans le couvent des Saints Serge et Bacchus. Son texte se trouve sur la partie supérieure et inférieure d’une plaque de marbre. Mais plus au centre, une inscription est directement liée à la croix. Il s’agit du Psaume 44, 5 du roi David. Il dit : « Bokh ndaqar la b’eldvovayn » (Par toi nous repoussons nos ennemis). Ce psaume fait entièrement partie du Slivo, la Croix, qui génère toute la composition et lui donne son nom, Slivoyo.
Ilige
Le même phénomène se répète en 1276, à Notre-Dame d’Ilige. Son texte est soudainement interrompu par le psaume 44,5 qui devient inséparable de la croix. Les deux phrases verticales au centre sont donc totalement indépendantes du texte. On y lit :
“Bokh ndaqar lab‘eldvovayn – wmétoul shmokh ndoush lsonayn” (Par toi, nous repoussons nos ennemis – et par ton nom, nous piétinons nos adversaires). Le reste du texte concerne la restauration du monastère.
Zouq
Au 18ème siècle, dans l’église de Mor-Doumit à Zouq, le Psaume 44:5 du roi David se trouve sur le linteau, de part et d’autre de la croix.
Geita Syr
Toujours au 18ème siècle, à Saint-Elias de Geita, nous trouvons une utilisation très intéressante du Psaume 44:5. Car d’un côté du linteau de l’entrée, une croix est entourée de l’inscription dans sa version syriaque tandis qu’à l’autre extrémité du linteau, apparaît la même croix, la même écriture serto et le même Psaume 44:5, mais en Garshouné cette fois. Il s’agit de la traduction arabe du psaume du roi David, écrit en lettres syriaques.
Sharfé (Entrée sud)
Plus récemment, au XIXe siècle, Notre-Dame de Sharfé offre une autre présentation intéressante du Psaume 44:5 du roi David. À son entrée sud, la croix du linteau montre la première moitié du psaume : « Bokh ndaqar lab’eldvovayn » (Par toi nous repoussons nos ennemis).
Sharfé (Entrée nord)
Et à l’entrée nord, une autre croix donne la seconde moitié du psaume : « Wmétoul shmokh ndoush lsonayn » (Et par ton nom, nous piétinons nos adversaires).
Les croix
Comme d’habitude, l’architecture, l’art, la sculpture et les inscriptions au Liban sont toujours liés aux manuscrits syriaques. Que ce soit sur le parchemin ou dans la pierre, au Mont Liban ou au Tour Abdin, les croix présentent le Psaume 44:5 du Roi David, parfois verticalement, parfois en diagonale. Il y a une corrélation totale entre le signe de la croix et le verset du psaume.
Ce que nous avons vu, ce sont les quatre groupes qui montrent les types d’épigraphes : Le groupe historique ; Le Gliloyo ou Circulaire ; Les tétragones ou Carrés ; Et les épigraphes de type Slivoyo ou en croix. Dans chaque groupe, la composition, le dessin et le contenu montrent une tradition continue qui couvre différents domaines et plusieurs époques. Toute cette cohérence nous informe de l’existence d’une tradition que nous ne pouvons plus ignorer. Il existe un trésor de formes, de signes, d’expressions et de messages qui définit une culture artistique et théologique.
Lire aussi :
L’Épigraphie syriaque (I)
Tiré du livre « Epigraphie Syriaque au Liban – vol 1« , Amine Jules Iskandar, NDU Press, Louayzé, Liban, 2008