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Le cycle christique dans l’architecture Maronite

Les Maronites ont-ils un trait particulier au sein de l’art ou de l’architecture chrétienne syriaque plus générale ? Après avoir observé 36 façades d’églises maronites avec des épigraphes syriaques, on remarque l’omniprésence d’une composition verticale révélant une forme pyramidale. Quel est le message qui se cache derrière ce motif ? Et quelle est la signification de chacun des éléments composant la pyramide virtuelle ?

 

  Mor-Awtél

 

L’église de Mor-Awtél à Kfar-Sgob, datée de 1776, révèle la composition par l’utilisation d’une pierre de couleur différente à l’intérieur de la pyramide. Tous les éléments sont clairement déterminés : L’entrée mise en valeur par la couleur; La croix; Le symbole de l’Eucharistie; L’écriture syriaque dans sa pureté et son extrême simplicité; La petite ouverture symbolisant la lumière de l’Eucharistie.

Cette représentation iconographique est reprise dans 36 exemples rassemblés à travers le Liban. Nous les passerons en revue brièvement, pour essayer d’analyser leur unité au-delà des variations.

 


Pyramides 1

 

La composition pyramidale de notre dame d’Ilige datée de 1276, montre l’imposante entrée, la croix, l’inscription syriaque et la source de lumière au sommet. On remarque le même effet à Saint-Shalita, daté de 1628. Encore une fois : la porte, le cercle de l’Hostie, la croix et l’inscription.

 


Pyramides 2

 

Un autre effet pyramidal se trouve à Notre-Dame-de-la-Prairie, daté de 1703. Il montre une composition imposante pour la porte à la base de la pyramide. Le linteau contient la croix et les deux signes cosmiques, le soleil et la lune, qui témoignent de l’humanité et de la divinité du Christ. La rosace, au-dessus, contient la forme et la lumière de l’Eucharistie ainsi que les lettres syriaques.

 


Pyramides 3

 

Ces quatre exemples pyramidaux de Machmouché, Geita et Besri, contiennent toujours une entrée imposante, des croix, des inscriptions syriaques et un cercle ou une source de lumière symbolisant l’Eucharistie.

 


Pyramides 4

 

La composition pyramidale est très riche à Saint-Joseph de Debié, datée de 1753. Elle montre l’imposante porte signifiée par ses mégalithes, les croix, les lettres syriaques, et l’Eucharistie indiquée par le calice et l’Hostie au sommet. De chaque côté, le soleil et la lune, sont ici les témoins de l’humanité et de la divinité du Christ, comme l’a clairement mentionné saint Ephrem le Syriaque au IVe siècle.

Une autre pyramide évidente se trouve à Saint-Joseph de Daraoun, datée de 1765. Outre les mégalithes imposants, les croix, les inscriptions et la rosace, la pyramide est fortement révélée par les dimensions et la couleur des pierres autour et au-dessus de la porte.

 


Pyramides 5

 

La couleur révèle à nouveau la pyramide de l’église Saint-Awtel, datée de 1776. La deuxième inscription sur le bois décrit également l’importance de la porte. Au-dessus se trouve la croix, suivie du calice pour l’Eucharistie. Plus haut, se trouve l’épigraphe en lettres syriaques, suivie de la source de lumière.

 


Pyramides 6

 

Saint-Abda est daté de 1797. L’importance de son entrée est exprimée par les mégalithes. Le tympan contient la croix et les deux signes cosmiques. Et au-dessus se trouve l’épigraphe. En haut, se trouve la rosace, lumière et forme de l’Hostie.

 

Pyramides 7

Notre-Dame-des-Semences, ou Saydet Zrou, datée de 1838, représente la composition pyramidale la plus complète, avec tous ses éléments : Les mégalithes pour l’entrée; L’épigraphe en lettres syriaques; La rosace, lumière et la forme de l’Hostie; Le calice juste à côté; La croix avec ses deux signes cosmiques : « shémsho u sahro » (le soleil et la lune); Les deux serpents, en syriaque « grossé« .

 


Pyramides 8

 

Saint-Shalita de Qotara, datée de 1857, offre un exemple unique en regroupant tous les éléments de la composition pyramidale sur le linteau de l’entrée. Elle réunit sur une même pierre le calice, l’Hostie, l’inscription syriaque et la croix.

 


Pyramides 9

 

Notre-Dame de Bkerké a une sorte de concept pyramidal, même si elle ne se trouve pas sur l’entrée d’une église mais sur celle du monastère patriarcal. Pourtant, la composition habituelle est respectée comme pour les églises. On peut voir la porte, la croix, le cercle et l’inscription syriaque. Quel est l’objectif du dessin sur toutes ces façades composées selon un axe vertical ? Quelle est la signification de chacune de ses composantes comme la pureté de la calligraphie, la croix, les signes cosmiques, la source de lumière, le cercle et le calice ? Pour dévoiler tous ces messages, nous devons nous rendre à Notre-Dame-des-Semences, ou Saydet Zrou, à Kfifén.

Comme il s’agit de la composition la plus complète, elle révélera le sens de cette iconographie architecturale. Toutes les représentations et inscriptions sont concentrées au-dessus de la porte, laissant le reste de la façade dans une austérité absolue. Comme dans une icône, où le sujet est isolé du reste du monde pour être conservé dans Utopos (le non lieu), et Uchronos (hors du temps). La façade de l’église maronite devient une icône. Elle ne connaît aucune virtuosité car elle n’est pas destinée à être appréciée. Elle est destinée à être lue. Et chaque partie, chaque détail, a une signification profonde, un rôle et un message que nous allons découvrir ici. Dans Kfifén, ce que nous regardons, c’est le Cycle Christique qui comprend chacun de ses thèmes.

 


Kfifén

 

Premier thème : Melto, la parole.

Si la calligraphie ne peut pas être embellie, c’est parce qu’elle représente le Verbe, « Melto » en syriaque. La Parole de Dieu est la Vérité absolue, et ne peut être remplacée par aucun superflu.

Deuxième thème : Métgashmonuto, l’Incarnation.

« Melto étgasham« , Le Verbe s’est fait chair. Le Verbe s’est incarné dans le corps du Christ, représenté ici par le Calice de vin et l’oculus. Cet oculus est la forme et la lumière de l’Hostie.

Troisième thème : Zqiputo, la Crucifixion.

Jésus est crucifié comme le montre la croix, Slivo en syriaque, au milieu de la composition. Mais cette croix est aussi le signe de la Résurrection, Qyomto, comme l’expriment les rayons de lumière qui brillent en diagonale à partir du centre de cette croix.

Quatrième thème : Kawkbé, les deux astres.

De chaque côté de la croix, écrit saint Ephrem, Shemsho u Sahro, le soleil et la lune, sont venus témoigner de la divinité et de l’humanité du Christ, « Alohuto u Noshuto« . En mentionnant la nature de Jésus, le Cycle Christique devient un Cycle Christologique.

Cinquième thème : Suloqo, l’Ascension.

L’ensemble de la composition dessine le mouvement d’une pyramide exprimant le concept d’Ascension. Après être devenu Chair, après la Passion et la Crucifixion, le Cycle s’accomplit en retournant au Verbe.

Sixième thème : Purqono, le Salut.

L’art maronite est toujours lié à la Sotériologie, c’est-à-dire la théologie du Salut. Si l’on regarde attentivement la façade iconographique de Notre-Dame-des-Semences, on remarque la représentation de la Sagesse, c’est-à-dire les deux serpents du Bien et du Mal. Ce sont les serpents du péché, par opposition au fruit de la vie : L’Eucharistie, incarnation du Verbe. Le Christ nous a sauvés par son sacrifice. Son corps, en syriaque Pagro, est notre fruit de vie. Il est vrai Bésro u dmo, chair et sang. Il est Purqono, Il est le Salut.

Le cycle christique commence avec le Verbe représenté par l’épigraphe, et incarné par la pureté de l’écriture syriaque et par la simplicité du texte. Il n’y a pas de place pour l’embellissement, ni de tolérance pour la virtuosité.

 


Notre-Dame de Gosta

 

En revanche, Notre-Dame de Gosta présente également une composition pyramidale. Au-dessus de sa porte, on voit l’épigraphe, le soleil et la lune, la fleur de lis, grâce de Dieu, et la croix. Mais la calligraphie arabe de son épigraphe est une profusion de virtuosité dans les mouvements des lettres et dans le style du texte. Il n’y a pas de convocation de la Parole. Il n’y a pas de Melto. Et sans la Parole, il n’y a pas de Cycle Christique. C’est précisément ce que nous perdons lorsque nous abandonnons notre écriture syriaque.

 


Debié

 

Pour les Maronites, Melto, le Verbe, est signifié par l’écriture syriaque. Son incarnation est illustrée par Oukaristia, l’Eucharistie. Le Calice et l’Hostie qui couronnent la composition, dans l’église de Debié, sont Piré d’Hayé : les fruits de la vie. Shemsho (le Soleil) et Sahro (la Lune) sont sur les côtés. Slivo (la croix) est la victoire sur la mort. Et les serpents (Grossé), comme on le voit à Kfifén, sont les fruits du Mal, vaincus par les fruits de la vie. Par son Cycle Christique, la façade maronite devient une icône de la Rédemption et du Salut.

Tous les thèmes et leurs représentations sont rassemblés dans un mouvement d’Ascension. Du Verbe au Verbe, à travers le mystère de l’Incarnation, le Verbe se fait chair. La façade iconographique maronite est l’illustration des versets bibliques de Saint Jean 1:1 :

 

Brishit itawo Melto w hu Melto itawo lwot Aloho Waloho Itawo hu Melto
Au commencement était le Verbe et le Verbe était tourné vers Dieu et le Verbe était Dieu

 

 

Et ensuite dans Jean 1:14. L’Incarnation est accomplie: U Melto besro hwo (Et le Verbe s’est fait chair). La façade iconographique maronite est l’illustration de ces versets bibliques.

 

Extrait du livre « Epigraphie Syriaque au Liban – vol 2 » , Amine Jules Iskandar, NDU Press, Louayzé, Liban, 2014

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