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Les élections vues d’Allemagne

Interview de Jan-Philipp Görtz, Directeur Politique et Relations Internationales, Lufthansa.
Propos recueillis par Jean-Marie Porté     4 mai 2012

Jan-Philipp Görtz est en contact permanent avec le monde politique allemand et européen pour représenter les intérêts de sa compagnie, dont certains dépendent fortement des législations adoptées. Il nous livre ce qu’il a pu saisir du sentiment des politiciens allemands quant à la campagne électorale française.

Les hommes politiques allemands montrent-ils un réel intérêt pour les élections Outre-Rhin ?

Oui, à des degrés divers, selon leur coloration. Les socialistes en Allemagne sont intéressés dans la mesure où l’élection d’un président de leur bord dans un grand pays comme la France constituerait pour eux un signal positif dans une Europe à dominante conservatrice. L’autre bord est embarrassé à cause du soutien affiché par Merkel à Sarkozy, manifesté notamment par son refus de recevoir Hollande avant les élections. Les relations bilatérales étaient déjà perçues comme relativement difficiles avec le gouvernement actuel, et risquent de devenir franchement pénibles avec le candidat socialiste. Son évocation par exemple d’un « pacte de croissance » a fait mauvaise impression dans notre pays, qui a de plus en plus le sentiment de payer pour les pays au budget laxiste. Qui plus est, Hollande représente une inconnue totale que ce soit pour sa personne ou son équipe, et les Allemands n’aiment pas beaucoup les surprises ! Bref, la majorité trouve le sujet désagréable et embarrassant.

Quelle est l’analyse la plus courante après le premier tour ?

Nous avons perçu que ce sont les extrêmes qui ont gagné. Le premier tour montre que les Français sont indécis et inquiets, commencent à se demander si tout va vraiment pour le mieux dans le meilleur des mondes. Et cela nous inquiète. Certains y voient la preuve que les gens sont fatigués de l’Europe et désirent plus de nationalisme. D’autres se réjouissent que la France hésite, car cela donne un peu d’air à notre pays sur la scène internationale, où nous jalousons toujours les Français d’être si conscients de leurs intérêts propres, et si acharnés à les défendre. On s’accorde cependant pour dire que cette incertitude est mauvaise pour l’Europe, car il devient plus difficile de mener des projets communs lorsque les peuples sont peu sûrs d’eux-mêmes. De façon générale, nous n’avons pas l’impression d’une menace particulière.

Quelle est l’impression faite Outre-Rhin par la campagne électorale, après les gros titres du journal anglais The Economist, « The West most frivolous élection » ?

Nous savons bien que les campagnes électorales ne sont pas précisément les lieux où l’on discute posément, où la réflexion avance. Ce qui inquiète est qu’on ne saurait trop dire ce qu’on espère au juste…

Oui, de fait, qu’espèrent les Allemands ?

Pour les Allemands, le moindre mal serait la poursuite du binôme Merkel-Sarkozy. Au moins, on connaît. Néanmoins, certains redoutent que cela ne fasse que prolonger une situation politique pénible, où l’on a l’impression chez nous d’un désintérêt général pour la chose publique, d’un manque d’engagement de personnes convaincues par des valeurs fortes. Même si l’Allemagne se sent forte du fait de ses performances économiques, se fait jour un sentiment troublant dû à notre démographie catastrophique et à l’affaiblissement général du sens des valeurs communes. Au point que certaines voix ne demandent plus de solutions aux problèmes actuels, considérés comme structurellement insurmontables, liés à une profonde crise des consciences, mais discutent des effets d’une déflagration majeure. Une grande crise agirait-elle comme un wake-up call auprès d’une population rassasiée, permettant un nouveau départ, ou bien au contraire les effets négatifs l’emporteraient-ils ? L’humanité a-t-elle besoin de chocs pour sortir régulièrement de sa torpeur ?

Jan-Philipp Görtz, merci !

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1 Commentaire

  1. paulo

    Enfin une reflexion de fond, qui nous vient justement de nos partenaires d outre rhin, actuellement pris en exemple par le monde entier: non, l'economie n'est pas tout! Nombre d artistes et dintellectuels germaniques s evertuent a proposer autre chose!!

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