Depuis deux jours, nos amis napolitains ne cessent de nous aborder pour parler des derniers événements. Que ce soit chez nous, où nombreux sont ceux qui passent nous saluer avec émotion ; au bar, où de parfaits inconnus se lancent dans de grandes discussions ; dans la petite épicerie devant l’église ; ou encore en pleine rue.
Photo © J.-M. Porté
Leur premier abord est émouvant, démontrant une compassion délicate, un souci de notre douleur personnelle. « Ça va ? Combien tu dois souffrir pour ton pays… les gens chez toi sont sûrement troublés, bouleversés. Quelle violence gratuite, insupportable. Tu as pu appeler ta famille ? » Ce qui les choque le plus et revient dans les conversations sont les deux assassinats encore plus « gratuits » que les autres, celui du policier blessé et celui de la jeune policière de Montrouge : « Bon, tuer un homme, ça peut arriver – la colère, les circonstances, un coup de tête. Mais tuer une femme de sang froid, une jeune personne qui peut donner la vie, qu’est-ce que ça veut dire ? » Beaucoup ont suivi heure après heure les événements, connaissent les noms des protagonistes, s’inquiètent pour les prochaines menaces.
Cette compassion cependant fait place souvent à des questions tendues, et même à la colère. Mais les Français, qu’est-ce qui se passe chez vous ? Comment avez-vous pu en arriver là ?
Comme il est toujours bon de prendre du recul, de contempler son pays avec sa grandeur et ses travers par des yeux extérieurs, il nous semblait intéressant de publier quelques-unes de ces réactions.
1 – Je ne suis pas Charlie
[Un homme d’un certain âge au bar] Comment peut-on publier des trucs pareils, non seulement vulgaires, frisant la pornographie, mais en plus méprisant, piétinant les sentiments des gens dans ce qu’ils ont de plus sacré, quand il ne s’agit pas de pure diffamation. Vous avez vu ces dessins sur le pape Benoît ? Je n’aurais même pas pu imaginer qu’on dessine des trucs comme ça. Je ne comprends pas cette phrase qu’on voit partout, « Je suis Charlie ». C’est absurde, on ne peut pas se revendiquer des grossièretés pareilles, tout juste au niveau scatologique d’un enfant de cinq ans, pour défendre la liberté sacrée à raisonner, à échanger des arguments.
[Un jeune d’une vingtaine d’années] Je ne comprends pas que vous les Français, après avoir vécu une telle horreur, vous vous apprêtiez à canoniser ces dessinateurs. Vous êtes plus fins que ça, quand même ! Au lycée, j’ai lu et admiré Hugo, Pascal, Sartre, votre culture est si belle ! Paix à leur âme, mais vraiment on ne peut pas faire de ça un modèle de liberté ! Pourquoi vos politiciens ne se posent-ils pas plutôt la question cruciale de savoir d’où vient ce radicalisme qui apparemment agite déjà toutes vos banlieues ?
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[Un vieil homme qui a travaillé durement en France dans sa jeunesse] Nous autres Napolitains, on sait ce que c’est, d’être immigrés. On l’a été partout, aux USA, en Australie, en France. Eh bien je peux vous dire que quand on arrive sans un sou en poche et qu’on doit construire sa vie, on a autre chose à faire que d’acheter des kalashnikovs. Ce délire d’idéologie et de violence, c’est une maladie de ventres pleins, de gamins repus, une maladie qui court parmi ces jeunes que votre politique d’aide sociale a gavés, déresponsabilisés, déconnectés du réel. Parce que le réel, c’est lutter pour manger, retrousser ses manches pour bâtir une famille. Du réel, vous avez fait un ventre mou, qui nourrit et plaint ces jeunes, sans même les prendre au sérieux et les mettre en prison quand ils brûlent vos propres voitures !
3 – Mais vous êtes aveugles ?
[Un étudiant] Cette réaction de vos élites me fait penser aux gouvernements socialistes pacifistes des années trente. Hitler avait écrit Mein Kampf, réarmait à tour de bras, bouffait les Sudètes, et tous les hommes politiques, les Français les premiers, n’avaient que le mot « la paix, la paix » à la bouche. Et en deux semaines, la France a été mise à genoux. Mais voyez-vous que vous êtes en guerre ? Que ces gens-là vous haïssent, et surtout haïssent la vie, la leur en premier lieu ? Que peut faire une manifestation d’union nationale contre ces gens-là ? Cette immigration délirante ne fait que produire des jeunes déracinés, enragés, victimes parfaites d’imams en veine de martyrs. J’ai peur pour votre pays, et peur aussi pour l’Italie, car chez nous, ce sont des centaines qui débarquent chaque jour, des centaines, et encore seulement ceux qu’on voit à la télé.
En fait, ce que je ne comprends pas, c’est que vous ne regardiez pas votre problème en face. Quand tu as devant toi un fou avec un couteau qui veut violer ta femme, tu ne discutes pas avec elle sur les possibles souffrances de son enfance malheureuse. Tu la protèges, et vite !
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4 – La prière au déjeuner
[Une mère de famille] Je suis très inquiète, parce que j’ai l’impression que cette radicalisation est quelque chose de général. Je vais visiter un orphelinat, où je tâche d’aider comme je peux, de donner un peu de tendresse aux enfants, et j’en ai invités quelques-uns pour le grand déjeuner de Noël chez moi. Il se trouve que quatre d’entre eux étaient musulmans, je les connais bien. Eh bien pendant le déjeuner, ils se sont levés de table et se sont mis à prier au milieu de la pièce, si bien qu’on a dû tous rester là en silence, embarrassés. Ça m’a mise bien mal à l’aise, parce que je ne comprends pas : si je suis invitée chez des gens d’une autre religion, je ne me lève pas pour dire l’angélus au milieu du repas. J’ai eu l’impression d’une sorte de démonstration : « Nous, nous sommes de vrais croyants », il y avait quelque chose d’agressif, d’ostentatoire dans leur attitude. Mais d’où cela vient-il ?
5 – Les mous
[Un ami] Je me demande si nous les chrétiens – au moins nous les chrétiens occidentaux – n’avons pas une certaine responsabilité dans cette histoire. Quand durant des décennies tu laisses tout dire et tout faire, tu laisses ridiculiser ta religion, tourner en dérision ce que tu as de plus sacré sans réagir, tu t’attires le mépris.
6 – Stanno sfasteriando Dio
[La voisine, une personne extrêmement simple] Quelle horreur, quelles monstruosités. Stanno sfasteriando Dio, ils fatiguent le bon Dieu. Ils sont en train de le pousser à bout.
Photo © J.-M. Porté
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Grazie mille Jean Marie pour ce magnifique article! Quelle beauté et quelle sagesse dans le jugement de notre cher peuple napolitain, et toujours dans une simplicité si bouleversante ! Je partage parfaitement leur point de vue.
Moi aussi, mon regard posé ces derniers jours sur les réactions de la foule qui se dit: ‘je suis Charlie’, a été habité par ces mêmes questions et ces mêmes réflexions: ces dessins révèlent-ils une véritable liberté d’expression ? Avec le même cri du cœur, je dis que je suis contre le terrorisme en France (ce même terrorisme qui ravage le Moyen-Orient et mon propre pays depuis des années), mais je dis aussi que je suis contre Charlie et « sa » liberté d’expression, contre cette idéologie de la défendre. Encore merci !
Josette
Merci, amis napolitains, toutes ces réactions habitent aussi mon cœur…
Priez pour nous !
Un grand merci pour le recueil de ces paroles si pleines de bon sens et de compassion qui viennent vraiment rafraîchir nos âmes et nos intelligences pris dans le bourbier des fausses réactions…mondialisées. Ces paroles viennent d’un peuple pétri par la vie et qui se laisse instruire par elle. Les coeurs simples voient toujours ce qui est.
Merci Oh bon peuple Napolitain !
L’Italie a aussi connu ses heures de folie, quand les Brigades Rouges assassinaient Aldo Moro, ancien président du conseil, et bien d’autres. Mais Jean-Marie était a peine né à cette époque. Mateo Renzi a été un des premiers chefs de gouvernement à annoncer qu’il viendrait à Paris ce dimanche montrer sa solidarité, parce qu’il sait cela. Recevons ces témoignages de compassion avec humilité et avec reconnaissance. Quand on aura pris un peu de recul, on s’apercevra qu’on est pas uniformément « Charlie », mais qu’on est simplement horrifiés par un massacre pour des dessins. Viendra plus tard la question: comment transmettre des « valeurs » et en même temps ériger en valeur le droit de les tourner en dérision ?
Merci Jean-Marie pour cet article et ces réactions de bon sens napolitain.
Au commentaire de Bruno Anel, et surtout à cette dernière ligne " Viendra plus tard la question: comment transmettre des "valeurs" et en même temps ériger en valeur le droit de les tourner en dérision", je voudrais répondre que le véritable humour, qui partage son étymologie avec l'humilité, est surtout dirigé envers soi-même. Rire des valeurs des autres s'apparente plutôt au mépris (quand on carricature le pape, ou l'Eglise), au blasphème, ou même au racisme (quand ceux dont on se moque sont d'une autre culture…). Pour moi, la vraie question qui devra un jour (re)venir en France touchera plutôt au respect des autres et de leur manière d'envisager la vie, le monde et Dieu lui-même. Et cette question ne pourra venir que si, nous-mêmes nous savons d'où nous venons.
Et si, bien sûr, la fragilité d'un dessinateur-provocateur face à des tireurs entrainés montre qu'il y a une vraie démesure de la réponse (on ne peut que condamner une telle barbarie sanglante). Il ne faut cependant pas oublier que ces dessinateurs étaient protégés par l'Etat français. Ce même Etat qui peut envoyer ses avions à travers le monde, en les faisant décoller tout simplement depuis Dijon pour bombarder la Lybie, l'Iraq… Le problème dépasse donc largement celui de la liberté d'expression comme a l'air de le dire Silvio Guerra. C'est une vraie question de civilisation.
C'est vrai que l'on peut caricaturer l'Eglise, le pape et même les représentations que nous faisons de Dieu.Mais tout cela n'est que l'expression humaine de notre foi . Jésus n'est-il pas à l'abri de tout cela? Peut-on lui faire pire que ce qu'il a subi pendant la Passion ?
Merci, Jean-Marie, pour cet article, qui pose un regard objectif, simple, sans idéologie ni manipulation médiatique sur une situation douloureuse et complexe. Nos amis de Naples expriment avec une vraie LIBERTE de coeur ce que nous n'écoutons jamais dans la presse qui nous impose trop souvent une manière de penser unique. Merci pour cette fraicheur, et ce bon sens.
Enfin du bon sens ! OUF….
J'ai le plaisir d'apporter une voix discordante à cet éloge généralisé du "bon sens" napolitain…Qu'on n'apprécie pas Charlie, on a bien le droit! Mais qu'on considère que la lucidité suggère que nous sommes en guerre contre les Musulmans, cela me paraît grotesque. Quant à vouloir résoudre un problème (protéger nos femmes contre le viol… Super, l'exemple!) sans regarder l'ensemble des causes possibles et non uniquement celles qui permettent à bas bruit d'exprimer un peu de racisme ou de mépris, c'est souvent peu efficace! Concrètement, si on suit ce "bon sens" napolitain, c'est quoi la solution? Fermer les frontières (les meurtriers du 7 janvier étaient français), supprimer les allocations (pour éviter les ventres pleins, c'est bien connu la misère rend libre et moins con), rétablir la France fille aînée de l'Église, supprimer le principe de laïcité – bref revenir sur 1905 – pour ne pas être des ventres mous?
Bonsoir Mademoiselle Wolff.
Bien que vos arguments tiennent plus du sarcasme ("grotesque", "racisme", "mépris" – ah bon) que du raisonnement, je cherche à comprendre les solutions que vous proposez, vous, à ce déchainement de violence.
1 – Ne pas stigmatiser les musulmans. Je suis bien d'accord avec vous, et je ne vois pas dans l'article une ligne qui puisse laisser penser le contraire. Le "ces gens-là" désigne bien évidemment ces personnages ivres de violence qui crient "Allah Akbar" en assassinant des innocents – malheureusement, les exemples ne sont pas rares (meurtres de masse de Boko Haram au Nigeria, condamnation à mort d'Asia Bibi au Pakistan, pour ne citer que deux faits récents), ce qui tend à faire penser à une épidémie due à un virus précis. Je vous renvoie à l'article du 15 janvier sur ce meme blog et à son argumentation serrée pour aller plus loin dans cette question. Quant à dire qu'il n'y a pas de guerre déclarée, c'est jouer à l'autruche.
2 – Regarder l'ensemble des causes possibles, pas seulement les causes racistes. Là encore, on ne peut qu'etre d'accord avec vous. Il n'y a d'ailleurs pas dans l'article une seule référence à une quelconque appartenance raciale. Etre immigré n'est pas une race, c'est une situation, et terrible. Due le plus souvent à des mirages tenaces ("en Occident, l'argent coule dans les rues" – mais avez-vous déjà fréquenté des centres d'accueil d'immigrés, écouté la souffrance de ces gens pris au piège pour avoir cru à des bobards ? – je vous conseille la maison des soeurs de Mère Teresa ici à Naples), payée au prix fort à des trafiquants sans scrupules, et poussant des millions de personnes au désespoir et à la solitude. Pourquoi ne pas chercher à attaquer ces causes à la racine, par une aide au développement intelligente et généreuse, au lieu de vouloir jouer les gentils en "accueillant" (fort mal au demeurant, voir Lampedusa ou Calais – mais comment pourrait-on faire mieux ?) des naufragés dans un bateau déjà en train de couler ?
3 – Il ne faut pas fermer les frontières. C'est vrai, vous avez encore raison. Le simple bon sens demande de rétablir les controles aux frontières, pour pouvoir justement les maintenir ouvertes. Pour les jeunes jihadistes français, je ne vois d'autre solution qu'une remise en question radicale des idéaux de notre société – que proposons-nous qui soit, pour un adolescent, à la hauteur de la promesse de donner sa vie pour une cause, quelle qu'elle soit ? Acheter le dernier iPhone ? Etre un petit républicain modèle, qui mange bio, aime tout le monde et ne consomme pas trop d'énergie ? Et une remise en question des idéaux de l'Islam, à l'aune des droits de l'homme – poser sérieusement la question aux croyants: défendez-vous la liberté religieuse ?
4 – Conserver le système des allocations tel quel. Là non. Conservatisme absurde. Pour avoir vécu deux ans en banlieue parisienne, lié des amitiés profondes avec des familles égyptiennes, maliennes, tunisiennes, italiennes, haitiennes ou portugaises, je peux vous dire que le système actuel est nocif. Un des facteurs de haine les plus efficaces est justement celui-ci : arroser les jeunes d'argent sans rien exiger d'eux. Il n'y a rien de plus anti-éducatif, mais surtout il n'y a rien qu'ils ne ressentent comme plus méprisant. Pourtant, tout va dans ce sens : à la MJC du coin (Villejuif en 2005, authentique) on distribue des tickets de karting, à l'école on bannit les notes et on fait disparaitre les bourses au mérite. Je vous conseille la lecture édifiante du livre autobiographique d'Abdel Sellou (dont l'histoire a inspiré les "Intouchables"), "Tu as changé ma vie" – comment sa haine s'est littéralement déchainée lorsque l'assistante sociale l'eut renvoyé à la maison après sa première arrestation sérieuse, avec des paroles mielleuses pleines de commisération – sur la mélodie de "pauvre petite victime irresponsable". Là où il a trouvé un équilibre, en revanche, c'est dans la rencontre avec un homme qui a exigé de lui le meilleur. Bref, le problème n'est pas d'etre pauvre ou riche, c'est d'etre un assisté ou un homme libre. Toutes les solutions sont envisageables, mais le système tel qu'il est DOIT changer. Et il ne prend pas pour l'instant la bonne route.
5 – 1905. Là je ne vois pas le rapport… mais après tout, vous avez sans doute raison. La laicité "à la Charlie" comprise comme un mépris global envers le fait religieux est pernicieuse, car le mépris engendre la violence. C'est vrai, pourquoi donc ne pas réfléchir sur ce qu'est réellement la laicité ?
Cher Wolf, sur la loi 1905, il faudrait que vous regardiez ce site (non, non, juste France Info) : http://www.franceinfo.fr/actu/societe/article/et-fait-quoi-maintenant-2eme-debat-l-islam-de-france-doit-il-se-reformer-630957 où on se demande quel doit-être la place de l'Islam dans la république !!!!!!!!!!!!!!!! Après les attentas, la proposition de ces représentants très laics de l'islam de France est l'intégration de l'islam à la république. Mais suis-je bête, l'islam ce n'est pas l'Eglise ! Donc ça va, aucune entorse à la laicité… Vous voyez bien qu'ici, la question, ce n'est pas 1905, mais 2015. La vraie question, c'est que l'occident est incapable de relever le défi que l'islam lui pose.
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Pour répondre à votre longue réponse, Jean-Marie, je crois que sur certains points, nous sommes d’accord, bien que je vois pas toujours le rapport entre ce que vous précisez et mon commentaire.
Pour l’histoire des allocations, je ne sais pas s’il s’agit là du pire des fléaux, mais quelles sont les alternatives qui vous paraissent valables? Comment faudrait-il réformer le système de l’aide sociale à votre avis?
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