Le 30 avril les funérailles du grand sculpteur congolais étaient célébrées en la cathédrale de Kinshasa, présidées par le cardinal Laurent Monsengwo, archevêque émérite. A cette occasion, sa fille Myoto lui rendit ce vibrant hommage qui fait état de l’immensité de son œuvre.
Alfred et son épouse Friederike
Excellence Monsieur le Président de la République,
Excellence Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames et Messieurs en vos titres et qualités respectives,
Avant toute chose, au nom de la famille Liyolo, je tiens à remercier toutes les autorités du pays qui ont soutenus papa et son inlassable compagne, maman, tout au long de sa maladie. Votre implication et votre constante bienveillance, ainsi que vos nombreux coups de fil à papa ne peuvent être ignorés.
Il faisait froid et gris à Vienne en cette fin de mois de Mars.
Ce 1er avril 2019, Papa pour les uns, Papounet pour les autres, Koko pour certains, mais aussi Aimable et Alfred Ross, Maitre Liyolo pour le monde, s’est éteint à 9h15.
Papa était le patient le plus connu de l’hôpital, comme le disait affectueusement le corps médical qui l’a suivi et traité pendant toute cette période. Je tiens ici à remercier le corps médical de la Krankenhaus Rudolfstiftung de Vienne mais aussi et surtout l’équipe médicale du Professeur Muyembe qui a été la première à diagnostiquer papa et qui a encouragé maman, faute de posséder les équipements adéquats, à commencer un traitement le plus tôt possible à l’étranger. Comme quoi, ce ne sont pas les talents qui manquent au pays mais plutôt les infrastructures.
A la Rudolfstiftung, papa avait toujours une chambre avec vue sur les jardins.
Bien qu’il pointait à l’horizon, ce jour là, le soleil peinait à sortir.
9h15, le visage tourné vers la fenêtre…
9h15, alors que les rayons de soleil se battaient pour percer les nuages ;
9h15, le soleil fût et ses rayons frappèrent la fenêtre de papa avec une intense luminosité. C’est comme si les anges du ciel avaient finalement réussi à se frayer un chemin pour que ses ancêtres puissent venir le chercher.
9h15, et la vie intense, et extraordinaire du Maitre du Bronze Congolais s’éteignit, telle une bougie prise dans un courant d’air.
Pour vous, il était le Professeur, le Maitre, l’Icône, le Rodin des Rois Africains, tel que le nomma un jour, le fameux Magazine français, le Figaro.
Pour nous, il était simplement un père attentif, affectueux, un pédagogue, qui nous a tout appris, tout donné, suffisse que nous le méritions, et qui, merci à maman, ne manquait jamais lorsque possible, de planifier ses expositions à travers le monde spécifiquement pendant nos vacances scolaires afin que nous puissions le découvrir ensemble et bénéficier de cette transmission de la culture.
Dans son atelier à Kinshasa
Excellence Monsieur le Président de la République,
Excellence Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames et Messieurs en vos titres et qualités respectifs,
point n’est besoin de vous lire la biographie de papa car vous en connaissez tous les grandes lignes et votre présence en soi est le reflet de son parcours et de sa notoriété.
Léopold Sedar Senghor écrivit sur papa, que son œuvre, La Penseuse, était aussi belle [je cite] que les « plus grandes œuvres réalisées, au 20eme siècle, par l’Ecole de Paris » et qu’elle « reflétait toute l’authenticité de sa négritude ».
En effet, pour connaitre l’Homme il faut comprendre QUI il était.
Un homme qui se souciait constamment du bien-être des autres et qui dans sa coutume laissait toujours quelque chose aux ancêtres. Etrange habitude, vous me direz, pour un homme africain si moderne.
Mais voilà l’essence de Liyolo ! C’était un homme qui a su dans toute sa dimension, allier modernité et tradition, fermeté et douceur, conviction avec action !
Mais finalement, est-ce bien étonnant, pour celui qui a su maitriser le bronze grâce à de fins alliages et dosage permettant de donner à la matière toute sa maniabilité et sa magnificence ?
Mais voilà que Liyolo n’est plus ! Certes !
Mais il se plaisait à dire que nous étions, nous ses enfants, ses moules les plus réussis et telles ses sculptures l’immortalisant, nous allons continuer à travers la Fondation Liyolo, son œuvre ultime : la quête perpétuelle de l’excellence dans le domaine artistique.
Dans son dernier courrier officiel au nouveau chef de l’Etat [à vous Excellence Monsieur le Président] datant du 15 février 2019, Papa renouvelait sa demande d’une mise en place d’une politique d’encadrement et de soutien en faveur de nos artistes – toutes disciplines confondues – car ils représentent la richesse et l’image du pays dans toute sa diversité. Monseigneur Tharcisse Tshibangu Tshisiku, Recteur Honoraire de l’Université Nationale du Zaïre, aujourd’hui Université de Kinshasa, dans une préface d’un livre de papa, écrivait [je cite] « De part sa vocation, l’artiste a reçu la mission de créer des valeurs pour assurer à la communauté humaine son équilibre vital, sans cesse menacé et brisé par l’écrasement des valeurs fondamentales : celles de l’amour, la justice, la paix. »
Ainsi, si la Nation Congolaise veut véritablement rendre un hommage au Professeur Liyolo, Maitre Sculpteur, le plus bel hommage serait de mettre en exergue une vraie politique culturelle sous toutes ses facettes, accessible à tous, sur toute l’étendue du territoire. Il est plus que temps que l’on réalise que la mise en valeur de la culture peut être une source immense de développement et de revenu pour un pays.
Il est regrettable que notre art acquiert de la valeur seulement lorsque reconnu à l’étranger.
Voilà papa, ton message est délivré.
Maman, merci d’avoir été avec papa, un exemple de vie.
Papa, tu pars en emportant un peu de chacun de nous, mais nous gardons tellement de toi.
Tu peux reposer en paix. Je t’aime, nous t’aimons tous.
Les demoiselles de Ayame