Home > Spiritualité > Marie, mère de compassion

Le “privilège” de Marie est une descente avec le Fils dans l’angoisse et la souffrance. Marie partage jusqu’au bout la mission de son Fils, comme Siméon l’avait prédit lors de la présentation au Temple. Marie n’est plus seulement la mère qui souffre pour la mort de son enfant mais la compagne et l’épouse qui communie jusqu’au bout à la rédemption qui est le sens de la vie de son Fils. Elle communie dans la souffrance et l’angoisse :

 

© Ivanka Dymyd – Chemin de Croix – Jesus rencontre sa mère (détail)

 

« Les deux choses sont présentes dans son âme : une tristesse purement humaine et, à côté de cela, la grâce de pouvoir participer à la souffrance surhumaine et divine du Fils, qu’il lui communique et à laquelle elle a part du plus profond de son âme. La souffrance n’absorbe pas la tristesse ; Marie souffre toute la peine humaine pour que les hommes qui ne connaissent rien d’autre soient consolés en pensant à la douleur de la Mère. (…) Si l’affliction est un sentiment où l’affligé éprouve avant tout le poids de son propre sort, la souffrance partagée avec le Seigneur met celui qui l’endure devant la Passion du Seigneur et l’y précipite entièrement. Il y a toutefois un lieu où les deux formes de souffrance ont une source commune : c’est le cœur de la Mère. Elle est une mère humaine, angoissée par le sort de son enfant, et en même temps la Mère de Dieu qui, ne s’appartenant pas, est toute au service de la mission divine de son Fils. Ces deux formes de souffrance se déploient l’une à côté de l’autre, non séparées l’une de l’autre, mais passant l’une dans l’autre, se renforçant mutuellement. Si l’affliction est nourrie par la souffrance, celle-ci également l’est par l’affliction. Si on voulait ne tenir compte que de la souffrance surnaturelle de la Mère, sa Passion pourrait sembler inhumaine. Elle aurait l’allure d’une destruction personnelle de Marie. Mais son humanité tout entière est associée à a souffrance. De toutes ses facultés naturelles d’abandon, d’engagement, d’angoisse et d’affliction, Dieu se sert pour les élever, les transposer dans le surnaturel. La Passion ne fait pas d’elle deux âmes qui souffrent séparément. Au contraire, la violence surnaturelle de la souffrance se sert de ce qui, en elle, est humainement disponible, pour lui permettre la participation la plus grande possible au destin de son Fils, et par là, offrir au Fils, dans sa souffrance pour l’humanité, l’aide d’une mère. Elle se tient devant le Seigneur, à la Croix, comme la somme, la récapitulation de l’humanité. Quand il la regarde, il ne voit plus pendant un instant les horribles pécheurs pour lesquels et par lesquels il meurt, il voit, dans la figure de sa Mère, l’humanité comme transfigurée. » [1]Adrienne Von Speyr, La Servante du Seigneur, p.43

 

© Olena Smaha, A fragment of Via Crucis, 2008. Wooddistemper 50 x 140 cm

 

Par sa compassion, Marie vit l’obéissance surnaturelle de celle dont on ne fait plus que disposer :

« Quand elle entend les paroles de la Croix : ‘Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?’, elle sent que cette question a pris vie en elle aussi. Elle est délaissée du Fils, du Père et des hommes, auxquels elle a fait l’ultime don de son propre pardon. Et ce double délaissement, du Père et du Fils, lui fait sentir combien elle est aussi délaissée d’elle-même. Elle s’est tellement donnée que tout son être à présent est pris dans ce délaissement. Elle ne donne plus, tout absorbée maintenant dans le délaissement. Elle suit son Fils dans son sacrifice total. Mais elle ne ressent pas la consolation qu’il y aurait à se savoir dans la même déréliction que lui. Le délaissement où elle vit maintenant est dépourvu de tout lien. Elle est livrée totalement. L’unique sentiment qui lui reste est un sentiment d’impuissance et de solitude, et ce sentiment est si fort qu’il remplit toute son âme, que le cri du Fils la saisit tout entière et qu’elle est transformée en une part de son cri. Et en se laissant absorber dans la plainte du Fils, elle renouvelle et ranime une fois encore son premier oui. Autrefois celui-ci vivait de la force du Fils où elle puisait l’abandon à Dieu et la mission. Maintenant que le Fils n’a plus de force parce qu’il a tout rendu au Père, c’est dans le Père que la Mère doit redire son oui. Ce n’est plus un consentement à mesure humaine ; c’est le oui qui s’est comme détaché d’elle et rendu autonome parce que c’est de la dernière chose qui lui restait, son épuisement même par surexigence, que ce nouveau oui a été formé. Ce qu’elle a à donner, ce n’est plus la force mais la faiblesse ; elle ne donne plus, elle est prise, elle n’obéit plus, on dispose d’elle. (…) C’est Dieu lui-même qui fait passer au-delà du seuil de l’obéissance active à la passivité de celui dont on ne fait plus que disposer » [2]Idem, pp.136-137

 

© Ivanka Dymyd – Chemin de Croix – Jesus rencontre sa mère

 

Elle partage ainsi jusqu’au bout l’angoisse de son Fils. Elle ne fuit pas la croix qui est le lieu de la fécondité et d’un élargissement sans limites des potentialités d’aimer :

« Tandis que les ténèbres de la déréliction l’emprisonnent toujours plus, c’est finalement l’angoisse – une angoisse qui n’a plus rien d’humain, mais qui est complètement assumée par l’angoisse du Fils mourant – qui lui permet de continuer à endurer ce n’en-plus-pouvoir. Sa disponibilité est plus grande que ses possibilités : sa disponibilité à vouloir porter est plus grande que ses possibilités de pouvoir porter. (…) C’est son angoisse croissante qui fait grandir toujours davantage sa disponibilité. Plus elle est prise par l’angoisse, plus elle a part à l’angoisse de son Fils et plus elle veut, dans cette angoisse même, s’abandonner à Dieu. Toute cette tension de ses forces est un cadeau de son Fils, l’expression de son amour parfait. Et, dans cette tension, Marie ne connait ni limites ni repos : il n’y a pour elle, dans l’angoisse grandissante, que le don grandissant. Au cœur de l’angoisse, elle ne se détourne pas par peur de l’angoisse. Elle ne fuit pas. La fuite dans la peur provient du péché originel qu’elle ne connait pas. Elle ne se protège pas contre l’angoisse, ne se met pas à l’abri, ne se la cache pas à elle-même. Elle ne lui fixe non plus aucun terme : ‘je souffrirai encore jusqu’à tel degré, au-delà je n’en pourrai plus’. Une pareille limitation rendrait les derniers pas plus faciles. Mais la Mère ne connait pas de limitations. Elle sait même qu’elle ne fuira pas, ce qui donne à son angoisse et à sa déréliction leur intensification infinie, parce que seul le péché pose des limites, alors qu’en elle l’amour est parfait. Jusqu’à la Croix son oui s’est toujours linéairement déployé en direction de Dieu seul ; il ne connait d’autre origine que ce Dieu se révélant lui-même, et qui lui apparait ici comme la révélation de la nuit, la colère et la terreur de Dieu. Elle n’a pas le ‘soulagement’ que procure le péché originel en cachant tant de choses aux pécheurs. Elle est entièrement exposée et sans défense ». [3]Idem, pp 138-139

Marie expérimente ainsi l’échec et l’inutilité de la mission de son Fils.

« La douleur la plus profonde de Marie est qu’elle ne peut pas parler paisiblement de tous les évènements avec son Fils, qu’elle ne sait pas ce qu’il pense, qu’elle ne reçoit de lui aucun réconfort, aucune consolation. Elle voit aussi l’angoisse des disciples. Et quand ensuite il est réellement arrêté, quand elle entend parler de la fuite des disciples, du reniement de Pierre, elle ne peut plus établir un rapport entre le Père du ciel et le destin de son Fils sur terre. Son oui est comme anéanti. Auparavant il était dressé verticalement vers le ciel comme une flamme, maintenant il semble tout à fait éteint. A cessé d’exister aussi toute l’ancienne Alliance : tout ce qui se dirigeait vers son oui aussi bien que tout ce qui avait là son origine. L’inutilité de son oui à Dieu est établie parce que la vie du Fils était inutile. Telle est l’expérience mariale de la croix : elle l’éprouve dans une obéissance qu’elle ne reconnait plus du tout elle-même comme obéissance parce qu’elle est devenue absurde. Son histoire et celle de son Fils sont comme un tas de débris, et la seule chose qu’elle voit est qu’elle perd son Fils unique d’une manière épouvantable. » [4]Kreuz und Höll I, pp. 314-315

 

© Natalia Satsyk – The Nativity of Christ

 

Marie est la seule créature qui accueille le Christ rejeté par les hommes et abandonné par son Père, comme elle a accueilli le Fils lors de l’Incarnation. Elle est ainsi l’archétype de l’Eglise qui accueille de façon sponsale l’Eucharistie. (…) Marie personnifie l’Eglise et révèle son identité d’épouse, de servante et de mère.

Jacques Bagnoud, Adrienne von Speyr, Médecin et mystique, Editions Chōra, pp 106-111

References

References
1 Adrienne Von Speyr, La Servante du Seigneur, p.43
2 Idem, pp.136-137
3 Idem, pp 138-139
4 Kreuz und Höll I, pp. 314-315
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