Le mandaloun est un élément très typique de l’architecture libanaise, que l’on retrouve partout sur nos maisons et nos monastères. Qu’est-ce que c’est qu’un mandaloun ? Pourquoi l’appelle-t-on ainsi ? Est-il importé dans notre pays ou s’agit-il d’un héritage ancien ?
Mandaloun à Ain Alak (Liban)
Pour analyser l’architecture, il est toujours nécessaire de considérer l’art dans son ensemble. Pour examiner l’architecture libanaise, ouvrons à nouveau le manuscrit de Raboula ou le Codex Rabulensis. Ce livre des évangiles a été composé en syriaque en 586. Il contient l’une des plus intéressantes collections de miniatures chrétiennes. Il a été déplacé du Patriarcat Maronite de Qanoubine vers Florence au début du XVIe siècle, mais seulement pour être étudié par le savant maronite Assemani qui a analysé ses miniatures et ses arcades.
Photo 3 : Codex Rabulensis
En admirant le Codex Rabulensis, on remarque la présence de doubles arcs séparés par une fine colonne. Cette caractéristique est très courante dans l’architecture libanaise. À côté de cette double arcade, nous remarquons également une niche de chaque côté, contenant une personne. Cette personne est vêtue d’une longue tunique selon le style romain.
Photo 4 : Mandaloun à Bsharré
Le phénomène exact est perçu dans un monastère de Bsharré. On peut y voir le Mandaloun, ou double baie, et à côté, la niche contenant la sculpture de Saint Joseph vêtu d’une longue tunique semblable à l’exemple de l’année 586. Notre Mandaloun apparaît donc sur l’architecture du XIXe siècle et dans le manuscrit du VIe siècle. Mais pas seulement là. Parce qu’il s’est en fait répandu dans tout le Liban principalement au cours du Moyen-Âge. Et c’est de là qu’il tire son nom.
A cette époque, le Liban était imprégné de la culture latine ou franque. Sa moitié sud faisait partie du Royaume de Jérusalem et la moitié nord faisait partie du Comté de Tripoli. Les villages libanais étaient constamment parcourus par des groupes musicaux appelés Troubadours. Ils se déplaçaient de montagne en montagne, de village en village, en chantant et en jouant de la musique. Leur instrument de musique le plus courant s’appelait la mandoline. En observant plus attentivement l’instrument, on remarque que ses cordes sont dupliquées. Toujours deux cordes au lieu d’une. Ce doublage est identique à la duplication des arcs en architecture. C’est pourquoi il a donné son nom à la double baie qui est devenue le fameux Mandaloun.
Mandoline des Troubadours
Si l’on observe les détails du Mandaloun du VIe siècle dans le Codex Rabulensis, on remarque la présence d’un arc au-dessus de la double baie. Ce détail est présent car il s’agit d’une réplique de l’architecture réelle dans laquelle la mince colonne centrale ne peut, à elle seule, supporter le poids du mur qui la surplombe. On l’appelle arc de décharge et il est là pour dévier les poids vers les côtés. Il y a donc une corrélation parfaite entre les miniatures syriaques et l’architecture. De plus, l’espace entre la double baie et l’arc de décharge au-dessus de celle-ci ne porte rien. Il pourrait être rendu plus léger qu’une simple maçonnerie. Le Codex nous montre donc comment il a été creusé par une rosace exactement sous le centre de l’arche au-dessus des petits arcs. Il le rend plus léger.
Rosace du Codex et Rosace à Beit Merré (Liban)
Cet arc de décharge et cette rosace se retrouvent à l’identique dans l’architecture libanaise, comme le montre le palais de la dynastie des Bellama à Beit Merré (Liban). Tout ici est identique à la miniature syriaque. Et si nous continuons notre observation, plus près des détails, nous remarquons un oiseau au sommet de I’ arc de décharge. Il s’agit d’une vue latérale d’un oiseau sculpté dans la pierre jaune. Beit Merré compte encore un second palais Bellama. Voici un deuxième Mandaloun, avec son arc de décharge, sa rosette, et cette fois, l’oiseau est de face.
Oiseau frontal – Bellama à Beit Merré (Liban)
Pourquoi les oiseaux ? Toujours les oiseaux ? Une fois de plus, les secrets de l’architecture libanaise se trouvent dans les manuscrits syriaques. Une fois de plus, le Codex Rabulensis apporte la réponse en montrant l’importance et l’origine de ce motif décoratif. Il montre des oiseaux au-dessus des deux arcs de ses Mandalouns ou de ses triples arcs. Dans les miniatures du Codex Rabulensis, les oiseaux sont placés en tête de la composition. Dans l’architecture libanaise, on en trouve partout. A Hadat Gebbé, une colombe survole l’arche centrale. Dans le palais de Mokhtara, on voit un oiseau qui se tient sur la corniche, un aigle sculpté au-dessus de l’entrée, déployant ses lourdes ailes.
Photos du diaporama: Oiseaux du Codex; Oiseau Hadat Gebbé; Oiseau Mokhtara; Aigle de Mokhtara et Aigle phénicien
Cette posture est typique de l’architecture phénicienne, comme l’a mentionné et illustré Ernest Renan dans son ouvrage « Mission de Phénicie« . On remarque à nouveau le poids des ailes qui pendent vers le bas. Le thème le plus courant dans l’Antiquité était celui qui mettait en scène deux animaux face à une urne, une plante ou une fontaine.
Mosaïque byzantine
Comme les exemples de mosaïques byzantines de Khaldé près de Beyrouth. Le Codex Rabulensis utilisait cette composition pour ses oiseaux. On peut voir ici les oiseaux face à un arbre de vie, au sommet d’un arc de décharge.
Codex oiseaux affrontés
Les Maronites perpétuent ce thème artistique depuis des siècles, comme le montre l’une des fresques du monastère de Qanoubin. Mais si nous revenons au palais des Bellama à Beit Merré. Que voyons-nous d’autre sur son Mandaloun ? Dans l’exemple avec un oiseau de face, on remarque l’alternance de deux couleurs de pierre. Et les entrelacs à l’intérieur de la rosace. Même effet dans le Mandaloun avec l’oiseau vu de profil. De nouveau la pierre de couleur ambre alternant avec la simple maçonnerie blanche. Et de nouveau, le motif à entrelacs à l’intérieur de la rosace. Une fois de plus, le manuscrit syriaque fournit les sources d’inspiration.
Qanoubin – Ooiseaux affrontés
Un livre maronite, avec un style artistique d’influence latine sur une page, peut montrer un pur héritage syriaque sur l’autre page. Le côté fournissant l’art traditionnel syriaque est extrêmement intéressant et enrichissant pour nos connaissances architecturales. Il offre une alternance d’encre rouge et noire similaire à ce que nous pouvons voir dans la pierre. Mais elle montre aussi l’art des l’entrelacs sous la croix identique à l’ornementation que l’on trouve en architecture.
Entrelacs du palais des Bellama à Salima
Le palais Bellama à Salima est un exemple accompli de cette tradition. Entièrement construit dans cette altération de couleur ambre et de calcaire blanc, il est enrichi d’un cadre à entrelacs. Le même type d’entrelacs enrichit les livres et manuscrits syriaques. Il entoure notre belle écriture syriaque Estranguélo et se développe, de celle-ci à la croix, à travers plusieurs sortes d’étoiles et de pyramides. Ce riche héritage artistique, qui reflète notre histoire, notre spiritualité, notre langue et notre culture, est un trésor inestimable dont nous devons prendre conscience et que nous devons apprendre à apprécier, à aimer et à respecter. Parce que nos écoles ne nous enseignent plus ces valeurs, nous avons tendance à les ignorer. L’absence de langue, de culture et d’identité entraîne la mort du patrimoine et de l’héritage.
Deux bâtiments intéressants, à Paris et à Beyrouth, présentent de prodigieuses similitudes. L’exemple parisien (à gauche) se trouve dans le quartier du Marais, tandis que l’exemple libanais (à droite) se trouve à Beyrouth, Place des Canons, aujourd’hui Place des Martyrs. La « Place des Canons » a disparu ainsi que ses beaux trésors architecturaux. Mais quelques photos anciennes peuvent nous aider à analyser son importance et son précieux message.
Paris-Beyrouth
Les deux bâtiments ont une façade frontale et une façade latérale à gauche ; ils sont composés de trois niveaux et d’une seule travée dans la largeur ; ils ont des pierres angulaires aux angles ; tous les deux ils ont une grande porte rectangulaire au rez-de-chaussée, un rectangle horizontal au-dessus de la fenêtre du premier étage, et des décorations sur les côtés de la fenêtre du deuxième étage ; et tous les deux ont un pinacle sur le sommet du deuxième étage, même si à Paris cet étage est intégré à une mansarde, tandis qu’à Beyrouth, la mansarde est symbolisée par le choix de la peinture bleue sur la façade.
Tout est identique. Tout, sauf la fenêtre du premier étage. L’architecte libanais ne pouvait pas se contenter d’une simple ouverture rectangulaire. Il devait implanter sa tradition en ajoutant une colonne centrale, générant ainsi un Mandaloun. Le Mandaloun est l’expression de la relation entre l’intérieur et l’extérieur. L’ouverture plate devient un espace révélé par la présence de la colonne. Cet espace est agrandi par un balcon à fleurs dont les traces sont encore visibles ici dans notre exemple. L’architecte libanais transforme la peau de pierre de la façade en un troisième espace, un espace tampon entre l’intérieur et l’extérieur. Ce témoignage architectural de notre passé, de notre identité et de notre sensibilité a disparu à jamais car « quand un peuple n’ose plus défendre sa langue, est mûr pour l’esclavage » (Rémy de Gourmont).
Article extrait du livre La dimension Syriaque dans l’art et l’architecture au Liban, Docteur Amine Jules Iskandar