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Les neuf sphères du Paradis : gradation et harmonie

Dante, à la suite de Béatrice, commence son ascension du Paradis. Il le découvre d’abord sous la forme de neuf sphères successives. Chaque sphère (ou ciel), caractérisée par une planète, correspond à un certain tempérament de bienheureux. Dante en effet s’est intéressé à l’astronomie, qui tenait une place importante dans la culture médiévale et établissait des liens entre les astres et le caractère des personnes.
Dans la troisième sphère, par exemple, ciel de Vénus, se trouvent les âmes qui se sont distinguées par leur grand amour. La cinquième sphère, ciel de Mars, est le lieu des martyrs, de ceux qui ont combattu pour le Christ jusqu’à donner leur vie. La septième sphère, ciel de Saturne, correspond aux contemplatifs.

 

Représentation de l’univers de la Divine Comédie, par Michelangelo Caetani, 1855 (Extrait)

 

Une telle gradation témoigne des multiples voies de la sainteté. Comme l’explique un bienheureux, dans le ciel de Mercure, cette diversité est source d’harmonie : c’est la fameuse musique des sphères, propre au Paradis

« Diverses voix font de douces notes
Ainsi divers degrés dans nos vies
Font la douce harmonie de ces sphères »

(Paradis, VI, 124-126)

 

 Un même mot d’ordre : « En Sa volonté se trouve notre paix »

Le Paradis se développe en différentes sphères, mais cette diversité est inséparable de son unité fondamentale. « Il me fut clair alors comment tout lieu / au ciel est Paradis » [1]III, 88-89  comprend Dante au chant III, suite à l’explication de Piccarda.
Comme dans l’Enfer et le Purgatoire, le voyage de Dante au Paradis passe en effet par des rencontres. La première est celle de Piccarda Donati, dans le premier ciel, ciel de la Lune. Il est émouvant de voir que cette première âme bienheureuse rencontrée n’est pas un saint connu mais une jeune femme florentine, qui était une amie personnelle du poète. Elle restera célèbre pour ce fameux vers, dans lequel elle résume l’essence de la vie en Dieu :

« E’n la sua volontade è nostra pace »
« En Sa volonté se trouve notre paix »

(Paradis III, 85)

La douceur des sonorités reflète la paix et l’humilité qui émanent de la bienheureuse Piccarda. Paix et humilité d’autant plus admirables que la vie de Piccarda fut loin d’être tranquille : jeune religieuse clarisse, son frère l’a obligée par la force à quitter son couvent pour la marier à un riche noble de Florence. Piccarda se trouve ainsi dans le premier ciel, ciel de ceux qui n’ont pas pu être fidèles à leurs vœux. L’apparent échec de leur vie terrestre n’empêche pas qu’une place leur soit réservée au Paradis : le ciel de la Lune est une merveilleuse illustration de la miséricorde divine !

 

Rencontre avec Piccarda, ciel de la Lune, Gustave Doré (chant III)

 

Et c’est Piccarda, au début du Paradis, qui donne ainsi à Dante la grande leçon de la vie bienheureuse en Dieu, valable pour toutes les sphères du règne divin, mais aussi pour la terre : chacun est heureux de sa place, sans en désirer une autre plus haute, car elle correspond à la volonté divine. Les mots de Piccarda sont comme un écho aux paroles du Christ : « Non pas ma volonté, mais la Tienne » [2]Matthieu 26, 39. La paix naît de l’humilité et de l’obéissance confiante à Dieu. C’est le contraire de l’orgueil et de l’envie, que Dante plaçait comme les deux premiers des péchés capitaux au Purgatoire.

Le Paradis, une « fête » de lumière, de danse et de chant

Plus Dante monte dans les différents ciels, plus il se rapproche du point central, la Trinité, autour duquel gravitent toutes les sphères. Plus, également, le mouvement et la lumière s’intensifient, comme il le voit dans le rayonnement des saints et de Béatrice, à chaque ciel plus éblouissant. En opposition à la nuit et à l’immobilité glacée du fond de l’Enfer, le poète nous présente une atmosphère de lumière et de mouvement, lumière de la gloire divine et mouvement issu du mouvement éternel d’amour au sein de la Trinité.

 

La ronde des anges, Fra Angelico

 

C’est partout une même atmosphère « de fête », selon l’expression utilisée par un bienheureux, dans la sphère du soleil. La fête naît de la joie de l’amour divin, et confère aux bienheureux ce « vêtement » de lumière, fruit de la vision de Dieu dans laquelle ils vivent :

« Autant que durera la fête
De Paradis, autant notre amour tissera
Autour de nous un vêtement pareil »

(Paradis, XIV, 37-39)

C’est donc dans une atmosphère de fête tourbillonnante que nous transporte le poète. Cette représentation du Paradis comme fête que développe le poète, allie une fois de plus avec génie beauté stylistique et profondeur théologique. Contrairement à l’Enfer, où chaque pécheur était isolé, enfermé dans ses cris ou dans un silence glacé, les saints du Paradis ne cessent de chanter, rire et danser, dans une harmonie qui exprime à la fois leur joie et leur communion. Le poète multiplie les métaphores lumineuses pour décrire ces bienheureux : ce sont des « splendeurs », des « soleils », des « feux »…

Dans la quatrième sphère, ciel du Soleil, Dante rencontre de grands théologiens. Ces derniers, alliant lumière de la raison et de la foi, se sont approchés du soleil de la vérité qui est le Christ. Et ces sages, que l’on représente généralement graves et sérieux, Dante nous les montre dansant en une ronde, autour de lui et de Béatrice. Il va jusqu’à les comparer, non sans un certain humour, à un bal de jeunes filles :

« Lorsque chantant ainsi, ces ardents soleils
Eurent tournés trois fois autour de nous,
Comme étoiles proches des pôles fixes,

Ils me semblèrent dames qui ne s’arrêtent pas de danser »

(Paradis, X, 76-79)

 

Rencontre avec saint Thomas d’Aquin et saint Albert le Grand, miniature de Giovanni di Paolo XV°s (chant X, ciel du soleil)

 

Parmi ces théologiens, Dante rencontre saint Thomas d’Aquin. Il est intéressant de noter que ce grand dominicain n’avait pas encore été canonisé lorsque Dante écrit la Divine Comédie. Mais son œuvre de théologien, déjà fameuse, a beaucoup influencé le poète florentin, qui n’hésite pas à le placer déjà parmi les bienheureux.

Dans ce ciel des sages, Dante rencontre des dominicains, comme saint Thomas, mais aussi des franciscains, comme saint Bonaventure. Ces deux ordres mendiants connaissent chacun un grand essor au XIII° siècle, mais se font souvent concurrence entre eux. Dante, de son côté, a fréquenté les deux familles à Florence, apprenant de chacune. Dépassant les mesquines rivalités terrestres, il présente ainsi dominicains et franciscains réconciliés dans un même ciel, réunis dans une même danse. C’est la fête du Paradis !

 

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References

References
1 III, 88-89
2 Matthieu 26, 39