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L’iconographie éthiopienne et syriaque

C’est dans son évangélisation et dans la christianisation de sa culture que l’Éthiopie a rencontré le Liban. D’abord, au IVᵉ siècle avec Frumentius de Tyr, puis au Vᵉ siècle avec les moines syriaques. Ces derniers ont joué un rôle essentiel dans la formation du monachisme éthiopien et de la littérature guèze par le biais des traductions. Leur influence sur la langue et sur l’art éthiopien est indéniable et se manifeste particulièrement dans les canons et les thèmes iconographiques.

 

 

L’arcade

Dans les représentations éthiopiennes, les personnages sont isolés dans des compositions d’arcs sur colonnes selon une tradition chrétienne générale renvoyant à l’évangéliaire syriaque maronite de Rabboula (Codex Rabulensis) qui remonte à l’an 586 et est conservé à Florence sous le code Laur. Plut. I. 56. Le concept de ces arcades a été initié par l’évêque Eusèbe de Césarée (+340) afin de codifier les correspondances entre les quatre évangiles.

Eusèbe avait ainsi procédé au sectionnement des textes évangéliques en une multitude de versets numérotés, pour ensuite regrouper les numéros des versets dans lesquels deux, trois ou les quatre évangélistes racontent le même événement. Les listes numériques ainsi obtenues sont placées entre deux colonnes sous des arcs formant une architecture particulière devenue typique de ces tables arithmétiques de concordance appelées Canons d’Eusèbe.

Ces arcades vont également embrasser les personnages dans une symbolique qui imprègne l’Homme d’une dignité nouvelle en le situant dans une aire intemporelle. Le Codex Rabulensis a défini aussi la physionomie des apôtres qui sera respectée jusqu’au Moyen Âge, en Orient comme en Occident, tel un code de reconnaissance. Ainsi « Marc et Luc sont peints dans la force de l’âge, nous dit Jules Leroy, alors que Matthieu est un vieillard ». Tous obéissent au principe de frontalité, d’immobilité, de spiritualité et de hiératisme.

Les évangélistes

Apôtres et évangélistes sont encadrés par l’arcade montée sur de fines colonnes. Les thèmes qui entourent et agrémentent cette architecture de fantaisie font appel à un patrimoine iconographique païen allant de l’arbre de vie aux volatiles en passant par les fontaines, les entrelacs et les divers animaux affrontés. Les ressemblances entre les exemples des diverses traditions chrétiennes peuvent être frappantes. Ainsi la posture de saint Luc dans le manuscrit éthiopien de Kebran (monastère Kebran Gabriel, 1420) rappelle fortement celle de saint Jean dans le manuscrit syriaque maronite de Rabboula. Tous deux sont assis et penchés vers la droite pour rédiger leur évangile.

 

À gauche : Saint Luc écrivant dans un édicule. Manuscrit éthiopien de Kebran. Daté de l’an 1420. Photo: Éthiopie-Manuscrits à peintures New York Graphic Society – Unesco 1961.

À droite : Saint Jean écrivant dans l’édicule de gauche face à saint Matthieu à droite. Manuscrit syriaque maronite de Rabboula Laur. Plut. I. 56. Daté de l’an 586. (Bibliothèque Médicéenne Laurentienne Florence).

 

Les deux manuscrits reprennent la même composition et procèdent à une démultiplication concentrique des arcades décorées de losanges ou de croix gammées. Ici et là, des fioritures et des volatiles enrichissent le tableau en ornant l’arcade de l’édicule.

À cet archétype généralisé viennent s’ajouter les grandes compositions reprenant les scènes de la vie du Christ. Parmi les plus monumentales se trouvent notamment la Dormition, l’entrée du Christ à Jérusalem, la Crucifixion, la Résurrection et l’Ascension.

La Dormition

La Dormition de la Mère de Dieu a donné lieu à une composition théâtrale. Nous la retrouvons dans la fresque médiévale de Saint-Charbel à Maad (XIIᵉ-XIIIᵉ siècle) et dans le manuscrit Bar-Jul. Eth.5 (XVIIIᵉ-XIXᵉ siècle) consacré à l’histoire de sainte Marie.

Dans ces deux exemples, la Vierge est allongée au centre de la composition symétrique, conformément à la tradition iconographique. Elle est entourée des apôtres avec Pierre à sa tête, et Paul à ses pieds. Vers le bas, l’archange Michel tranche le bras de Jéphonias qui tentait de renverser le lit. Dans ces deux œuvres libanaise et éthiopienne, les personnages, aux expressions stéréotypées, portent la main au visage pour exprimer la douleur de leur tristesse.

 

En haut : La Dormition de la mère de Dieu. Église maronite Saint-Charbel de Maad Liban. XIIᵉ-XIIIᵉ siècle. ©Amine Jules Iskandar
En bas : La Dormition de la mère de Dieu. Le manuscrit éthiopien Bar-Jul. Eth.5. XVIIIᵉ-XIXᵉ siècle. Photo: Bibliothèque Bar-Julius Liban.

 

L’entrée à Jérusalem

Dans le manuscrit éthiopien de Kebran (1420), l’Entrée à Jérusalem représente le Christ, monté sur un âne, marchant sur les vêtements que le peuple étend sur son chemin. C’est cette scène des Rameaux que nous retrouvons dans les différentes traditions chrétiennes, dont le manuscrit syriaque maronite Syr. 118 de la bibliothèque apostolique du Vatican.

Il s’agit du Recueil des Homélies de Jacques de Sarug qui remonterait au Xᵉ-XIᵉ siècle. Ici, comme dans le manuscrit de Kebran, les apôtres sont regroupés en un seul corps compact dont se distingue une multitude d’auréoles. Dans ces deux exemples, les personnages qui étendent les habits sur le sol sont peints plus petits que les apôtres, selon la logique de l’échelle d’importance.

 

En haut : L’Entrée du Christ à Jérusalem. Manuscrit maronite Vat. Syr. 118 dit « des Homélies de saint Jacques de Saroug ». Xᵉ-XIᵉ siècle. Photo: Bibliothèque apostolique du Vatican
En bas : L’entrée du Christ à Jérusalem. Manuscrit éthiopien de Kebran. Daté de l’an 1420. Photo: Éthiopie-Manuscrits à peintures New York Graphic Society – Unesco 1961

 

La Crucifixion

Dans le Codex Rabulensis, la Crucifixion apparaît dans le registre supérieur d’un folio qui représente aussi la Résurrection. Le cadre en gradin, typique de l’art syriaque, se retrouve également dans les iconographies arménienne et éthiopienne. Au XVᵉ siècle, le manuscrit éthiopien de Kebran représente cette même scène. Ainsi, dans une composition symétrique, apparaissent les deux larrons, le légionnaire à la lance qui transperce le flanc du Christ sur la gauche et celui portant l’éponge imbibée de vinaigre sur la droite.

Dans les deux exemples syriaque et éthiopien, les deux astres font leur apparition. Selon saint Ephrem, ils sont venus témoigner de la divinité du Christ pour le soleil, et de son humanité pour la lune. Ainsi, pour Jules Leroy, la Crucifixion « de Kebran est tout à fait conforme au schéma byzantin dont la première expression est contenue dans un manuscrit syriaque de l’année 586 » (le Codex Rabulensis).

 

En haut : La Crucifixion. Manuscrit éthiopien de Kebran. Daté de l’an 1420. Photo: Éthiopie-Manuscrits à peintures New York Graphic Society – Unesco 1961
En bas : La Crucifixion. Manuscrit syriaque maronite de Rabboula Laur. Plut. I. 56. Daté de l’an 586. Photo: Bibliothèque médicéenne laurentienne Florence

 

L’Ascension

Dans les exemples syriaque et éthiopien du Codex Rabulensis et du Kebran, le thème de l’Ascension est illustré par une composition de type monumental déclinée en deux registres. Ici et là, dans le registre supérieur, le Christ figure dans une mandorle tenue par deux anges, alors qu’il surmonte des ailes de chérubins qui laissent apparaître les quatre symboles évangéliques. Nous reconnaissons alors le lion de Marc, l’aigle de Jean, le taureau de Luc et enfin le visage de Matthieu.

Dans le registre inférieur, la composition respecte la symétrie du haut. Nous y retrouvons Marie au centre avec, de chaque côté, six apôtres. Au premier plan du groupe de droite, dans le Rabulensis, nous reconnaissons les traits iconographiques de saint Pierre tandis que dans le groupe de gauche, au premier plan, nous devinons saint Paul grâce à son aspect chauve et barbu. Dans le manuscrit de Kebran, comme dans le modèle syriaque, une certaine agitation s’empare des apôtres témoins de l’événement. Certains lèvent la main vers le ciel, indiquant le Christ.

Ces canons iconographiques sont communs à toutes les traditions chrétiennes. Cependant, un rapprochement se crée entre les héritages éthiopien et syriaque, grâce au rôle qu’ont joué les évangélisateurs et les missionnaires en Éthiopie. Le voisinage entre les langues sémitiques que sont le guèze et le syriaque a également contribué à renforcer certaines similitudes.

 

En haut : L’Ascension. Manuscrit syriaque maronite de Rabboula Laur. Plut. I. 56. Daté de l’an 586. Photo: Bibliothèque médicéenne laurentienne Florence
En bas : L’Ascension. Manuscrit éthiopien de Kebran. Daté de l’an 1420. Photo: Éthiopie-Manuscrits à peintures New York Graphic Society – Unesco 1961

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