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Les relations entre le Liban et l’Éthiopie remontent à la christianisation de cette dernière. C’est Frumentius de Tyr (+383) qui a introduit le christianisme en Éthiopie. Et, au cinquième siècle, ce sont neuf moines qui y ont développé le monachisme et la littérature éthiopienne à partir de traductions d’ouvrages grecs et syriaques. Parmi eux, au moins un moine, Abba Libanos, serait originaire du Liban.

 

 

Saint Frumentius

Frumentius est mentionné comme un syriaque (c’est-à-dire chrétien) de Tyr. Dans son Histoire ecclésiastique (I,9), Rufin d’Aquilée (345-410) nous apprend qu’un philosophe syriaque nommé Méropius s’était embarqué de Tyr en 316 avec ses neveux et disciples Frumence (Frumentius) et Edèse (Aedesius). Suite à un naufrage sur les côtes de la mer Rouge, la majorité de l’équipage était massacrée tandis que les deux jeunes garçons étaient emmenés en esclavage à la cour d’Axoum, en Abyssinie. Mais là, ils ont fini par gagner les faveurs du roi pour devenir les instructeurs du prince. Plus tard, Aedesius est rentré en Phénicie, et Frumentius a été sacré évêque d’Éthiopie, par l’archevêque Athanase d’Alexandrie.

Frumentius a établi son siège à Axoum et y a fait baptiser le jeune roi Aeizanas. Il a fait construire un grand nombre d’églises à travers le royaume où le synaxaire le reconnaît comme l’Illuminateur de l’Éthiopie. La tradition le vénère dans sa langue sémitique sous le nom d’Abba Slama, l’équivalent du syriaque Abo Shlomo (le père de la paix). Il a également conservé le titre syriaque de Abouna (notre père), prononcé en Éthiopie comme au Liban.

 

Bet Medhane Alem la plus grande église monolithique au monde. (Photo libretexts.org: Deborah et Zoe Gustlin Evergreen Valley College)

 

Les neuf saints

C’est au cinquième siècle, surtout après la tenue du concile de Chalcédoine en 451, que des moines et ermites majoritairement syriaques étaient partis s’établir en Éthiopie. Parmi eux, les plus célèbres sont les neuf saints qui seront à l’origine du monachisme éthiopien. Il s’agit de Za-Mikael dit Aragawi (l’Ancien), Pantalewon (Pantaléon), Isaak dit Garima, Gouba, Afse, Aleph, Matta (Matthieu), Sehma et Libanos. Comme Frumentius et Aedesius, une partie d’entre eux pourrait être originaire du Liban, notamment Abba Libanos, comme son nom l’indique.

La tradition leur attribue la traduction en guèze de plusieurs œuvres théologiques comme la Règle monastique de Saint Pacôme, la Vie de Saint Antoine par Saint Athanase, et le recueil de Qérillos qui comprend le De recta Fide du patriarche Cyrille d’Alexandrie. Ils ont ainsi introduit en Éthiopie le monachisme et l’érémitisme. Encore aujourd’hui, les ermites sont appelés Tsadaqan, l’équivalent du syriaque Zadiqé (les Justes).

Une langue et une montagne

Comme pour le syriaque au Liban, le guèze s’est maintenu en Éthiopie sous forme de langue liturgique tandis que l’amharique s’imposait dans le quotidien. Comme pour l’épigraphie du Liban, celle de l’Éthiopie révèle un usage intensif du grec depuis l’Antiquité et jusqu’au cinquième siècle où il a commencé à reculer devant le syriaque et le guèze. Comme le Liban, l’Éthiopie a connu une forte influence latinisante à partir du seizième siècle, grâce au collège maronite de Rome pour le premier, et grâce aux Portugais pour la seconde.

Comme le Liban, l’Éthiopie est un pays montagneux que son relief a protégé des avancées des Arabes. Sa capitale actuelle, Addis-Abéba (Nouvelle-Fleur), située à plus de 2.000 mètres d’altitude au cœur du pays, nous rappelle encore la parenté entre les langues sémitiques, car la fleur est notée Habobo dans les manuscrits syriaques maronites.

 

Lalibelé la nouvelle Jérusalem au cœur de l’Afrique. (Photo libretexts.org: Deborah et Zoe Gustlin Evergreen Valley College)

 

Lalibela

La capitale religieuse de l’Éthiopie est la majestueuse Lalibela, située à plus de 2.600 mètres d’altitude. Elle a été fondée comme cité monastique à l’emplacement de la vieille ville de Roha par le roi Gebre Mesqel Lalibela (1172-1212) pour remplacer le pèlerinage de Jérusalem devenue inaccessible depuis les invasions islamiques. Ce roi a été canonisé par l’Église éthiopienne, et Lalibela qui porte son nom, est devenue la nouvelle Jérusalem dont elle est une réplique avec son Golgotha, son Jourdain, son Tombeau du Christ et même son Sinaï. C’est un monde troglodytique qui exalte l’architecture monolithique avec ses onze églises creusées dans la roche et classées, depuis 1978, patrimoine mondial.

Les chefs-d’œuvre de cette Jérusalem d’Afrique sont répartis de part et d’autre de la rivière baptisée Jourdain. Au nord de ce cours d’eau, les églises de Bet Mesqel (maison de la croix), Bet Maryam (maison de Marie), Bet Mikhael, Bet Gologotha, Bet Ghel et surtout Bet Medhané Alem (Sauveur du monde) qui, munie d’un péristyle, est considérée comme la plus grande église monolithique du monde. Un peu à l’écart, l’impressionnante Bet Guiorguis (ou église Saint-Georges) est taillée en forme de croix orthodoxe sur une profondeur de 15 mètres. Au sud du Jourdain, ce sont Bet Gabriel-Rouphaël, Bet Amanuel, Bet Merkorios et l’étonnante Bet Abba Libanos qui ne s’accroche à la montagne que par son toit. Son nom est l’équivalent du syriaque Beit Abo Libanos (maison de l’abbé Libanos).

 

Bet Guiorguis. (Photo tirée du compte Facebook de Lalibela)

 

L’art sacré

Si dans le domaine de l’architecture l’Éthiopie est demeurée fidèle à l’ancienne civilisation axoumite, c’est dans l’art sacré que se concrétisent les traces des échanges. Les influences syriaques que nous constatons dans les arts grec, arménien et latin, se retrouvent également dans l’art éthiopien au niveau des thèmes iconographiques, des compositions et des détails.

La personnalité africaine marque cependant l’art éthiopien de son seau, lui octroyant un caractère particulier au sein du monde chrétien oriental et le positionnant au carrefour des mondes sémitique, byzantin et africain. Cet art, que Jules Leroy présente comme issu du syro-byzantin, se développe dans le domaine officiel de la fresque, de l’icône et du manuscrit comme une continuité de l’iconographie copte, mais avec un caractère africain noir. Le dessin y est plus primitif et les couleurs plus exotiques. Le graphisme de l’artiste éthiopien exprime une force et un geste sûr.

Bet Abba Libanos liée à la montagne par son toit. Photo libretexts.org: Deborah et Zoe Gustlin Evergreen Valley College

 

Cette iconographie s’africanise encore plus explicitement dans le domaine moins officiel des rouleaux dits magiques. Là, le dessin expressionniste de l’œil protecteur s’impose auprès des croix et des archanges, et le hiératisme y est encore plus exagéré.

La comparaison entre les thèmes iconographiques éthiopiens et ceux du codex syriaque maronite de Rabboula (586 après Jésus-Christ) est captivante. Malgré un style expressionniste et des couleurs vives, l’artiste éthiopien reprend les sujets, les compositions et les canons syro-byzantins.

De grandes compositions sont typiques de cet art chrétien. Parmi les plus emblématiques se trouvent la Crucifixion, la Résurrection et l’Ascension. Mais il y a aussi l’Annonciation, la Dormition et l’Entrée de Jésus à Jérusalem. Toutes ces représentations reprennent les codes iconographiques chrétiens présents dans les diverses traditions grecque, latine, arménienne, copte et syriaque.

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