Home > Fioretti > Tout à coup !

Isabelle Guerrera   5 août 2013
Temps de lecture 3 mn

En avril 2012, nous vous avions publié une lettre de notre amie Isabelle qui est immobilisée par une sclérose latérale amyotrophique depuis bientôt 10 ans. A chacune de nos visites, nous sommes de plus en plus touchés par ses talents d’écrivain qui parlent au cœur de l’homme. Grâce à un ordinateur spécial, elle peut en effet écrire avec ses yeux et nous partager les richesses de sa vie intérieure, véritable trésor et leçon de vie pour chacun. C’est une joie de la compter parmi les journalistes de notre Blog. Voici son dernier texte écrit en juillet dernier après une période d’hospitalisation.


Isabelle

Tout à coup !
Ce sont vraiment les mots qui conviennent.
…Depuis que je suis malade, on peut lire en moi comme dans un livre ouvert. Par exemple, si je croise un beau garçon, un énorme sourire s'empare de moi. Donc, c'est impossible de ne pas se rendre compte qu'il m'a tapé dans l'œil. C'est pareil lorsque l'inspiration vient. Je suis tellement envahie d'idées que je fais des petits bruits sur lesquels je n'ai aucun contrôle. Le pire c'est qu'elle arrive surtout la nuit. Et ces petits sons donnent à ma mère des envies de me faire passer par la fenêtre !
C'est assez étonnant. Certaines sensations restent gravées.

Été 1980… Titan, un berger allemand, que je connaissais bien, me voyant sauter à la corde, m'a mordu la main. Je me souviens encore de la douleur. Il y a 32 ans de cela…

Alors maintenant, mai et juin 2013 c'est impossible de l'oublier. C'est dans mon lit, que j'apprécie le confort retrouvé. Je n'ai pas envie de m'étendre sur cette terrible épreuve que je viens à peine de surmonter. Pourtant j'ai besoin de dire que c'est étrange et pourtant naturel que en 40 ans d'existence, 60 jours de grande faiblesse mettent autant de temps à s'atténuer. On ne peut pas oublier. On recommence à vivre mais avec cette forme de blessure.

Dans mon cas, c'est un peu différent que pour vous. Je m'explique. Pour moi, cette SLA n'a rien à voir avec ces 60 jours d'extrême souffrance. J'ai l'énorme chance de vivre ma maladie en l'admettant. C'est-à-dire qu'elle est entrée dans mon existence et l'a modifiée. Mais le fait de ne plus pouvoir bouger et parler, n'est pas insurmontable. J'ai admis que telle était ma nouvelle vie et puisque je suis entourée de personnes fabuleuses, ma mère en tête de liste, mon quotidien n'est pas celui d'une malade. Par contre, lorsque j'attrape une rhume ou quelque chose de plus aigu, contrairement à vous, cela prend une tournure très compliquée. Et c'est à cet instant que j'ai la sensation d'être malade. Et ces 60 jours dans 40 ans de vie, sont une véritable lutte. C'est cela que j'ai besoin de dire et de redire.

Le titre est " tout à coup ". Car cette nuit de juillet 2013, dans mon lit, si confortable, j'ai repensé à ces nuits de souffrances physique et psychique et à cet encombrement presque permanent et tout à coup, beaucoup de souvenirs me sont revenus en tête. Et dans mon lit, dans ma chambre, aux côtés de ma mère, j'ai conscience soudainement que j'ai finalement repris ma vie en main. Jusqu'à présent, j'avais une seule idée positive de ce que j'avais retiré de cette douloureuse étape. Je me suis dis que 25 jours de toux presque incessante prouvaient que j'avais quand même une sacrée résistance. Mais cette nuit, j'ai réfléchi et tout est devenu clair. Je n'avais plus de douleurs, mon corps était redevenu léger, je n'ai plus d'angoisse, je suis revenue à la maison comme avant, sans oxygène, sans toux. Et en plus mon inspiration était finalement revenue. Cela signifie que la vie était de retour !

Et ce titre alors ? Cette nuit j'ai repensé à beaucoup de choses. Décembre 2004 : ma main gauche était très faible et avec une forme un peu différente. C'est à l'hôpital que j'ai pris rendez-vous…
C'est une femme médecin qui m'a auscultée. Elle était enceinte. Lorsqu'elle a vu ma main, elle a immédiatement, je suppose, compris de quoi il s'agissait. Elle n'a pu s'empêcher de me faire une caresse. J'ai ressenti une extrême douceur et je lui ai souri. Je ne sais comment l'exprimer ?
Cette femme au ventre arrondi, sa caresse, m'a en quelque sorte accompagnée au long de ces 8 années. C'est cette douceur que je reçois constamment. Pour la millième fois, de ma mère, de tous mes amis, mes 2 équipes soignantes, etc.
Mais cette nuit du 9 au 10 juillet, j'ai mes yeux qui se sont remplis de larmes, car malgré toute cette tendresse, cette maladie est très difficile.

Je sèche mes larmes, ou plutôt mes larmes se sèchent toutes seules, pour vous raconter une petite anecdote. C'est cela que je trouve extra dans ma vie ! J'ai, depuis toujours, une autodérision qui me sauve ! Cette docteur, a dit que j'avais une griffe cubitale ! Quand je l'ai dit à l’amie qui m’accompagnait, on s'est tout de suite mise à rire car ce mot fait penser à un terme de science fiction ! Nous avons directement pensé à la série très captivante et si bien truquée de Bioman ! Tous mes amis étaient les forces de couleur et moi je suis la griffe cubitale. Donc bien supérieure. Encore maintenant on en rit !…

…Juin 2013 : la veille au soir, j'avais pleuré jusqu'à 1h du matin. La physiothérapeute de l'hôpital m'avait aspirée sans aucun résultat. Le matin, vers 7h j'étais toujours aussi encombrée. En plus, il était question de tenter des injections de Botox dans les glandes pour diminuer la salive. Malgré la possibilité de diminuer cette fichue sécrétion, j'avais extrêmement peur. Vers 8h30 en me levant pour aller sur mon fauteuil, tout à coup, j'ai senti quelque chose se décoller et soudain, cette lutte incessante était terminée.
Je n'y croyais pas.
Toute ma volonté de vivre, était finalement récompensée. Je respirais comme avant. Plus de masque durant 20h/24.
Mais mon esprit était blessé, meurtri, épuisé. Oui, ces 30 jours étaient gravés ! J'étais contente d'être libérée, j'étais évidemment contente de rentrer à la maison, mais ma confiance était en dessous de zéro.
En plus, pour diminuer cette salive, j'étais à 2 patchs, et 80 gouttes de Belafit. Ce qui, malheureusement, provoquait les troubles de la vision. Donc, en voyant trouble, l'angoisse me saisissait, mon indépendance informatique qui était finalement acquise après presque deux ans était à nouveau entamée. Je ne me sentais pas la force d'écrire car je ne voyais presque rien. Puis, tout doucement, en retrouvant mon lit, en récupérant les hautes heures de sommeil perdues à l'hôpital, j'ai eu un peu plus de courage. C'est avec Carmen, la jeune fille qui m'aide à l'informatique, que j'ai pu me remettre à écrire.

Chaque jour, je regardais les toutes petites choses qui notaient un pas vers le mieux. Au début, j'ai eu envie de mettre du parfum, un autre jour, j'ai demandé à maman d'appeler notre voisine Victoria pour me faire les ongles. Mais dès que j'étais à mon ordinateur, avec quelques personnes, la seule chose qui me venait à l'esprit, c'était de dire à quel point cette hospitalisation m'avait mise en miettes !
Un jour, j'ai pensé que j'allais peut-être réussir à trouver un moyen naturel, en parallèle, au traitement des médecins, pour réussir à retrouver ma vue. Je les ai avertis et quelle ne fut pas ma surprise, lorsque toutes ces personnes m'ont, en quelque sorte, "soutenue".
Ma démarche a porté ses fruits. Maintenant, depuis quelques semaines, ma vue est à nouveau nette, les souvenirs de cette pneumonie s'éloignent, la vie a gentiment repris sa place… J'ai pu écrire pour remercier chaque service dans lequel j'ai été.
J'ai remarqué que plus le temps passe, plus dans tous mes récits j'aime mettre un poème. En guise de conclusion, je vais mettre un des merveilleux poèmes de mon amie Jeanne, car durant la nuit du 9 au 10 juillet 2013, j'ai tout à coup ressenti comme :

Une forme de solidité en soi

Une forme de solidité en soi
comme la montagne qui se dresse devant moi

une forme de solidité en soi
comme l’espérance qui grandit enfin en soi

une forme de solidité en soi
comme le rayon de soleil qui éclaircit l’ombre étendue devant soi

une forme de solidité en soi
comme un vaste sentiment qui prend soudainement corps en soi

dans un instant bref
une forme de solidité
un début
reconnaissance
une tentative
confiance
une envie
sourire
de solidité
en soi.

 

Vous aimerez aussi
Suite à la découverte de Silvestrov
El Salvador, entre foi ardente et gangs
« Il est une foi » , un festival qui interpelle
Avec la pandémie, repenser notre rapport à la mort

6 Commentaires

  1. Denis

    Chère Isabelle,

    merci de tout coeur, j'espère que nous pourrons vous lire le plus souvent possible sur ce blog. J'espère aussi que nous pourrons découvrir d'autres poèmes de votre amie Jeanne.

    Bien à vous,

    Denis

     

     

  2. David Bailly

    Bonjour Isabelle,

    merci pour votre témoignage. Vous nous donnez une belle leçon de vie. J'admire votre courage.

    Amitiés et bonne continuation à vous et ceux qui vous entourent

    David

  3. Sylvie

    Bonjour Isabelle,

    Merci pour ce beau témoignage. Je me souviens avec émotion de la soirée que j'ai pu partager en juin en votre compagnie (entre autre). Les poèmes qui prennent au coeur, les montages photos etc

  4. Pingback : Possible ? – Terre de Compassion

Répondre