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World Press Photo 2014 : Images de l’exil et du désir

Depuis 1955, l’organisation hollandaise World Press Photo récompense les meilleurs clichés de presse de l’année dans le but de promouvoir le photojournalisme et la liberté de l’information[1]. Chaque année, une question nous préoccupe : comment recevoir ces images d’un siècle insoutenable où se confondent dans un même faisceau de couleurs la boue et l’or ? Ces prises ont pour fin de transmettre l’actualité. Elles reflètent tout autant la réalité que notre manière de la regarder à travers les multiples prismes idéologiques de notre époque. Cependant, certaines d’entre elles semblent trembler comme des flammes. Comme si quelque chose dépassait en elles le fonctionnalisme ou le mot d’ordre.

Le 14 février dernier, John Stanmeyer remporte le premier prix pour une photo puissante et poétique, réalisée pour National Geographic. A Djibouti, des immigrants africains tentent de capter un réseau téléphonique pour joindre leurs proches. Sans cette référence au drame de l’immigration, il est probable que la photo n’ait pas attiré l’attention du jury. Cependant, elle nous livre comme un surcroît de sens : la lumière des portables semble refléter celle de la lune, comme si ces hommes comblaient leur soif de communion en puisant au disque énigmatique et silencieux.

Il y a encore cette photo de Philippe Lopez, montrant des survivants du typhon Haiayn aux Philippines, portant les images saintes au milieu d’un paysage désolé. Il a ces infimes percées de lumières dans la nuit obscure du couvre feu de Gaza par Gianluca Panella. Dans le même lieu encore, les scènes quotidiennes de Taynia Abjouqa, qui, avec humour, sauve les diamants d’une vie occupée à tout autre chose qu’aux affres de la guerre. Celles de Robin Hamond, tragiques, dévoilent la solitude des malades mentaux du Soudan, blessés irrémédiablement par les affrontements. Soudain, petit paradis protégé par les montagnes, les scènes de la vie paysanne de Transylvanie, par, Rena Effendi, rayonnent d’une innocence oubliée. Enfin, les clichés aériens de la « beauté toxique » par Kasper Kowalski dévoilent une étrange crucifixion qu’on dirait peinte par William Congdon. Combien est-il significatif que cette beauté ambiguë surgisse précisément des pollutions chimiques, de la défiguration de la terre !

Il y a en nous une soif d’images. Cicéron ne disait-il pas que « l’homme est fait pour contempler le monde et l’imiter » ? Mais la force de ces photos d’actualités – qui confinent à l’œuvre d’art lorsqu’elles sont sorties de leur contexte utilitaire – nous oblige à aller plus loin que la simple information. Plus loin, encore, que le premier émerveillement devant les choses ou que notre besoin immédiat de satisfaction esthétique, elles mettent en lumière le drame de notre époque. Elles nous rendent contemporains de ces personnes. Présents, peut-être, le temps d’un clic, à leurs souffrances et à leurs espérances. Imiter le monde, selon l’expression de Cicéron, serait alors laisser en nous se dessiner les contours de ces visages. L’accomplir, serait peut-être les porter, dans l’espérance respectueuse de Marie, aux pieds du Crucifié. Il s’agirait de voyeurisme si le regard mutilait son désir et s’arrêtait à la superficie. Il nous revient donc de creuser les décombres pour retrouver le visage de l’homme et l‘horizon de sa destinée.


[1] Voir également notre article du 21 juillet 2012 :
https://terredecompassion.com/2012/07/21/world-press-photo-2012-mysterium-pietatis/ 

 

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