Dans plusieurs pays de l’Antiquité chrétienne, la Grèce ou la Cappadoce, la France ou Ravenne en Italie, l’ampleur de l’art des fresques a toujours été reconnue. La plus grande collection de fresques syriaques au monde, repose dans les montagnes du Liban. Outre les deux merveilleux exemples du monastère de Saint Moïse en Syrie et du monastère des Syriaques dans le Sinaï égyptien, le Liban demeure un musée syriaque vivant et en plein air. De Mar Théodoros de Behdidet (Jbeil, Liban), à Mar Séba d’Eddé (Batroun, Liban) en passant par Mar Charbel de Maad, Notre-Dame Kaftoun, des dizaines de petits vestiges ont survécu ici et là dans des églises, des chapelles. Ces fresques sont principalement médiévales, à l’exception de l’exemple patriarcal de la vallée sainte (Qannoubine).
Abside de l’Eglise de Saint Charbel Maad, Liban – Détail
L’église historique de Saint Charbel à Maad
Ce temple phénicien a été reconstruit par les Romains, puis converti en église pendant la période byzantine. Il a été dédié à Saint Charbel, le saint syriaque d’Édesse, martyrisé au milieu du 3e siècle. Toute cette richesse et cette diversité sont évidentes dès que l’on pénètre dans le narthex, puis dans la nef, et que l’on voit les nombreuses colonnes corinthiennes, doriques et iodiques, toutes mélangées dans un même espace.
La nef
Au Xe siècle, l’église a été ornée de fresques syriaques et, au Moyen Âge, lorsqu’elle a été restaurée par les Croisés, elle s’est encore enrichie de nouvelles fresques syriaques. La première composition que l’on peut voir est celle de l’abside.
L’Abside
La personne reconnaissable au centre de la fresque, pourrait être Saint Charbel d’Edesse. Et de chaque côté, Saint Pierre et Saint Paul suivis des 4 évangélistes. Saint Pierre est bien sûr celui qui détient la clef. La tradition ici est le style syriaque ancien : tous les visages sont identiques. La différenciation n’est obtenue que par la couleur des cheveux et de la barbe.
L’écriture utilisée dans ces fresques est l’Estranguelo (ou écriture monumentale) en peinture blanche. De chaque côté de l’abside, il y a une absidiole. De l’absidiole gauche, nous pouvons accéder au podium du temple phénicien, juste derrière l’autel maronite. De l’absidiole droite, nous entrons dans ce qui pourrait être considéré comme la plus belle et la plus importante chapelle du Liban : la chambre de la Dormition. A l’intérieur de cette chambre, nous sommes emportés dans un autre monde. Le monde de la contemporanéité avec le Christ et ses Saints. Sur un côté, nous sommes en présence d’une personne importante qui pourrait être Saint Maron, Saint Cyprien ou encore Saint Charbel d’Edesse. Près de lui, se tient une femme sainte. Si l’homme était saint Cyprien, alors cette femme serait sainte Justine. Mais si c’était Saint Charbel, alors nous sommes ici en présence de sa sœur Babaï Martyrisée comme lui, entre 236 et 250.
Le Saint homme et la Sainte femme
Sur le mur du côté sud de la chapelle, se trouve la grande fresque de la Dormition de la Mère de Dieu. Marie est sur son lit, entourée de saints et d’anges. Au-dessus de son corps, Jésus-Christ tient un enfant vêtu de blanc qui symbolise l’âme de Marie. Selon la tradition iconographique, Saint Pierre dirige son regard vers la Vierge. Il a les cheveux blancs. Il se trouve dans la partie inférieure de la fresque. Par ailleurs, Saint Paul se met aux pieds de Marie. Il se trouve dans la partie supérieure gauche de la fresque. La Vierge est représentée en train de dormir et non pas morte. La tonsure, ou crâne rasé, vue juste près d’elle, révèle une influence franque importée par les Croisés.
Saint Pierre et Saint Paul
Là encore, comme dans l’abside, les visages se ressemblent tous, mais ne se différencient que par la couleur des cheveux. On peut aussi dire la même chose des expressions. Pour exprimer la douleur et la tristesse, les mains tiennent les visages. Aucune expression significative n’est dessinée dans les yeux ou sur une autre partie du visage.
La dormition, details
L’Eglise Saint Théodore à Behdidet
Une autre église musée est celle dédiée à Saint Théodore à Behdidet. Également médiévale mais de taille plus réduite. Pourtant, sa fresque est probablement l’un des exemples médiévaux les plus complets du Liban. Toute l’abside est peinte ainsi que sa base, son arc supérieur et les deux côtés. Elle contient une merveilleuse Déïsis typique de la plupart des églises maronites qui ont été détruites. Une Déïsis montre le Christ en gloire assis, avec le Tétramorphe ou les « quatre vivants » des évangélistes, ainsi que les chérubins, les séraphins, Sainte Marie et Saint Jean. Et à la base de cette Déïsis, on trouve également 12 apôtres et évangélistes.
En dehors de l’arche de l’abside est représenté l’Ancien Testament. On distingue parfaitement le soleil et la lune et deux scènes : à droite, Dieu remet à Moïse les 10 commandements. La représentation de Dieu est interdite dans l’iconographie chrétienne. C’est pourquoi on ne peut voir que sa main. Moïse est clairement identifié par l’inscription syriaque blanche : Moushé nviyo (Moïse le Prophète). Et sur le côté gauche, les inscriptions blanches identifient Abraham : Avrohom. Et Isaac : Ishoq . C’est donc le thème du Sacrifice d’Abraham. On peut également remarquer sur la droite de cette fresque un médaillon avec l’image de Jésus-Christ Emmanuel. Et l’inscription dit : Aammanouel (le Dieu-avec-nous).
Abraham et Moise
Dans la partie inférieure, à l’extérieur de l’arc de l’abside, se trouve le thème de l’Annonciation. Sur la droite, la Vierge Marie, et à l’opposé, l’Archange Gabriel qu’elle écoute attentivement. Dans la voûte de l’abside, à l’intérieur de la Déïsis, se trouve une autre représentation de Marie, mais cette fois-ci face à Saint Jean qui lève les bras. Son nom est écrit en lettres syriaques blanches : Youhanon
Marie face a l’Ange et Saint Jean montrant la Vierge
Au centre de la fresque, Jésus porte un livre dans sa main. Il est principalement en syriaque, mais contient aussi quelques mots grecs. De chaque côté de Jésus, se tient un ange portant l’inscription du Trisagion, qui signifie le triple Qadish. À droite, l’ange est l’un des chérubins, comme l’indiquent clairement les lettres blanches syriaques à côté des ailes : Krouvé (Chérubin). Les multiples yeux qui couvrent les ailes expriment l’éveil. Car les chérubins sont des gardiens aussi appelés en syriaque ‘iré (les veilleurs). À gauche, l’ange est l’un des séraphins, identifié par les lettres syriaques blanches à côté du panneau qu’il tient : Srouphé (Séraphin).
Krouvé et Srouphé
Dans la partie inférieure de l’abside, se trouvent les Apôtres. Ils sont là, un par un, fixant celui qui les contemple dans les yeux. Comme dans l’église de Maad, ils sont peints avec les mêmes caractéristiques, mais différenciés par le type et la couleur des cheveux. Ils sont identifiés grâce aux inscriptions verticales syriaques à l’encre noire : Andraos (aux cheveux blancs), Morcos qui, comme tous les autres est isolé sous une arche fixée sur deux minces colonnes. L’arc et les fines colonnes sont très similaires à ce que l’on trouve dans les manuscrits syriaques et dans l’architecture libanaise jusqu’au début du XXe siècle. Étonnamment, si le nom de Saint Matthieu était écrit en syriaque serto (Mattay), c’est-à-dire en cursive, ici le nom de Saint Pierre, Petrus, est écrit en Estranguélo, c’est-à-dire en majuscule ou en écriture monumentale. Ensuite vient la présentation du plus jeune des hommes, toujours écrit en syriaque : Philippe. Nous remarquons que les yeux ont été détruits lors des nombreuses attaques contre les Chrétiens de ces montagnes. Les yeux étant considérés comme l’expression de l’âme. C’est la raison pour laquelle ils ont été percés par les agresseurs étrangers. Certaines inscriptions ne sont pas très lisibles comme celles de Toumo (Thomas) et Moushé (Moïse) et d’autres comme Yaacouv (Jacques) apparaissent verticalement dans l’auréole. Que ce soit en serto ou en estranguélo, le syriaque peut s’écrire horizontalement ou verticalement. Le nom d’Estephanos est écrit en lettres blanches. Et comme dans l’église de Maad, la tonsure est un signe de l’influence franque sous les croisés.
L’influence byzantine
Les deux grandes compositions de chaque côté de la nef représentent un chevalier chrétien sur son cheval selon la tradition et le style byzantin. Sur le mur nord, le chevalier est sur un destrier brun. Conformément à l’iconographie chrétienne, bien que le cheval soit représenté latéralement, le saint est toujours représenté face au spectateur. Les lettres blanches du nom sont désormais illisibles ; mais la tradition consistait à peindre le portrait du saint patron de l’église. Ce chevalier est donc Saint Théodore. De l’autre côté de la nef, se trouve un autre chevalier sur son destrier blanc. Il tue le dragon en dessous. Selon la tradition iconographique, il s’agit de Mor Guewarguis (Saint Georges). Le cheval est blanc avec des cordes et des ornements rouges. On connaît l’importance de Saint-Georges au Liban, puisque c’est à Beyrouth qu’il a tué le dragon pour libérer la fille du roi.
Saint Théodore et Saint Guewarguis