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Suite à l’article publié hier sur l’église de Mar Theodoros à Behdidet, nous vous proposons aujourd’hui de connaitre les fresques syriaques de l’église de Mar Séba à Eddé, où nous trouvons presque les mêmes œuvres sur les restes des fresques médiévales. On y remarque notamment les mêmes traces d’un cheval blanc avec ses ornements rouges comme à Behdidet, sur un ciel bleu foncé. C’était donc probablement la fresque de Saint Georges de ce lieu. L’église d’Eddé a été reconstruite par les Croisés et entièrement enrichie de fresques syriaques. Comme l’église de Maad, elle représentait probablement l’une des plus grandes collections de cet art au Liban. Malheureusement, elle a été transformée en mosquée pendant une courte période, au cours de laquelle tout l’intérieur a été détruit. De nombreux fragments ici et là ne nous donnent qu’un aperçu de la gloire ancienne de ce lieu. C’est ce qui reste de la fresque de la Dormition de la Mère de Dieu. Comme dans l’église de Maad, nous voyons, à gauche de la fresque, le petit enfant vêtu de blanc. Il symbolise l’âme de Marie portée par Jésus-Christ. Cette fresque montre Saint Pierre, comme à Maad, s’approchant de la tête de Marie, tandis que de l’autre côté, il y aurait Saint Paul à ses pieds.

 

 

Contrairement au style adopté à Maad et Behdidet, les visages sont ici beaucoup plus réalistes et expressifs. Nous pouvons percevoir la douleur dans leurs yeux au lieu que ce soit simplement manifestée par le geste de prendre leur tête dans leur main. De plus, contrairement à Maad et Behdidet, il n’y a pas de mélange entre les écritures serto et estranguélo. Les inscriptions sont entièrement en estranguélo, l’écriture monumentale, indiquant la prospérité durant cette période des Croisades. Sur l’un des fragments nous lisons à gauche en estranguélo vertical blanc : Dionisios (Denys) et à droite : Yaacouv Ahouy d Moran (Jacques frère de notre Seigneur). D’autres fragments montrent des visages avec des inscriptions. L’un d’eux dit Youdo bar Halfay (Judas fils d’Alphée). Ici et là, des résidus nous donnent une idée de la beauté de la calligraphie et des nombreux motifs de cette église.

 

Restes de la fresque de Jésus et Marie

 

Les restes la fresque de Jésus et Marie, nous renseignent sur l’existence de contours autour de certains des Sujets. Le cadre apparaît en rouge sur le côté droit de la fresque. Certaines lettres grecques, typiques de l’iconographie byzantine, sont ici intégrées à la tradition syriaque. L’extrême simplicité des visages est similaire à l’iconographie plus ancienne vue dans Maad et Behdidet. Cette fresque appartient probablement à une période plus ancienne que le reste de cette église.

 

La Crucifixion

 

La Crucifixion, en syriaque Zqipouto, est l’une des deux plus importantes fresques de cette église, et probablement de tout l’héritage syriaque. Le visage de Jésus se rapproche de plus en plus du style qui se développera plus tard au cours de la Renaissance. De chaque côté, au-dessus de la croix, le Soleil et la Lune témoignent de la divinité (Alohuto) et de l’humanité (Noshuto) du Christ. Sous la croix, se trouve Sainte Marie, à gauche, et Saint Jean, à droite.

Notre-Dame de Kaftoun

D’autres fragments comme ceux-là ont été découverts récemment à Kaftoun, au nord du Liban. Des portions isolées gisent ici et là comme à Mar Seba d’Eddé, mais aussi une belle Deisis comme celle de Mar Theodoros de Behdidet. L’abside de Notre-Dame de Kaftoun nous aide à imaginer la prospérité culturelle et artistique de ce lieu. Sa Deisis montre Jésus en gloire. Les tétramorphes ont disparu de sous son trône mais sur les côtés, Sainte Marie et Saint Jean sont debout face à face comme à Behdidet. Au-dessus de la voûte, se trouve la scène de l’Annonciation. L’archange Gabriel se tient à gauche, et Marie à droite, avec une architecture scénique à l’arrière-plan. Une autre voûte montre des fragments de deux saints se tenant face à face, avec des étoiles au sommet. En raison de problèmes d’humidité, cette partie a été entièrement endommagée.

Sur les murs, en revanche, les fresques sont beaucoup mieux conservées. Les visages sont pleins de vie et de mouvement, et les inscriptions sont en estranguélo horizontal très faciles à comprendre. De gauche à droite, on lit Yaacouv, Philippos et Marcos (Jacques, Philippe et Marc). La calligraphie utilisée est un estranguélo carré, avec un caractère monumental correspondant aux lettres majuscules des alphabets latins. Il réapparaît dans ce qui reste du triple Qadish ou Trisagion.

   

Estranguelo Qadish et Estranguelo Philipos Morcos

 

Notre Dame de Qannoubine

Du Moyen Âge, nous allons maintenant passer à la Renaissance. Nous quittons le XIIIe siècle pour aller au XVIIe siècle, plus précisément au monastère de Notre-Dame de Qannoubine. Cette église contient également une Deisis mais surtout la grande fresque du Couronnement de la Vierge commandée par le patriarche Estephanos Douayhi qui est mort en 1704. La petite grotte de Qannoubine, appelée grotte de Sainte Marina, contient les corps des Patriarches installés dans ce monastère. La grande grotte contient cependant l’église patriarcale principale avec son abside et ses deux absidioles.

 

Mor Estéphanos

 

Dans le respect de la tradition, l’abside est peinte avec une Deisis montrant Jésus en gloire. Il est assis sur un trône porté comme d’habitude par le tétramorphe : le lion de Marc, l’aigle de Jean, le bœuf de Luc et l’homme de Matthieu. Il y a cependant une petite différence à côté de cette Deisis, car à la place de Saint Jean, c’est Saint Stéphane qui fait face à la Vierge Marie. Une autre différence réside dans la nouvelle culture maronite de la Renaissance : les lettres latines remplacent le grec à côté des inscriptions syriaques. Ainsi, Mor Estéphanos s’écrit en lettres latines aussi bien qu’en lettres syriaques. Face à lui se trouve la Vierge Marie dont le nom est également écrit en lettres latines et syriaques.

 

 Daniel

Dans la première absidiole, on reconnaît le thème de Daniel dans la fosse aux lions. Il est sauvé par le Dieu d’Israël. Sous la scène, l’inscription Garshouné dit : « les prières sur cet autel du prophète Daniel sont dédiées aux âmes des morts » .

 

 Saint Joseph

 

Dans la deuxième absidiole, on voit Saint Joseph tenant l’Enfant Jésus dans ses bras. Il est représenté comme un charpentier, tandis que Jésus porte le globe de l’univers. Dans l’une des inscriptions, nous lisons Mor Yaoséph (Saint Joseph), tandis que la deuxième inscription dit Apis Hlofayn (Intercède en notre faveur). Si les chérubins et les séraphins sont toujours représentés comme des visages ailés selon la tradition syriaque et byzantine, la fresque principale de cette église (le Couronnement) montre plus de liberté avec une influence romaine latine montrant des corps complets.

 

 Fresque du Couronnement de la Vierge

La fresque du Couronnement de Marie a été commandée par le patriarche Estephanos Douayhi au XVIIe siècle. Les anges peints avec un corps entier sont en dessous de la Vierge Marie. Cette représentation est devenue possible après l’ouverture du Collège Maronite de Rome en 1584, lorsque la Renaissance italienne a influencé l’Église Maronite. Dans cette fresque, Sainte Marie est couronnée par le Père (avec la barbe blanche), le Fils (Jésus) et le Saint-Esprit (la colombe). Dans toutes les fresques et icônes médiévales, le Père était toujours représenté par une main sortant des nuages. Il n’était jamais permis de dessiner une image de Dieu, car il n’avait jamais dévoilé son visage, et il ne peut être vu qu’à travers son Fils. C’est là une autre originalité de l’art de Qannoubine qui utilise les possibilités de la Renaissance.

Du haut de la fresque, la colombe du Saint-Esprit envoie une lumière avec le verset 4:8 du roi Salomon, en Garshouné : « Viens du Liban, mon Épouse, et sois couronnée« . C’est ainsi que le patriarche maronite Estephanos Douayhi a déclaré Marie Reine du Liban, couronnée par le Père, le Fils et le Saint-Esprit, au sommet de la forêt des cèdres du Liban. Marie est en effet représentée assise au-dessus des cèdres, tandis qu’en dessous, tous les patriarches de Qannoubine défilent en procession en portant des cadeaux et des félicitations.

 

   

Fresque du Couronnement de la Vierge (Détail – Patriarches en procession)

 

Des groupes de patriarches s’approchent par la droite et par la gauche. Ils sont tous vêtus de vêtements de cérémonie. Tous ces patriarches gisent dans la grotte voisine de Sainte Marina avec leurs noms gravés en syriaque. Le patriarche Douayhi est l’un d’entre eux. Il participe à la procession, richement vêtu comme tous les autres. Sur chacun des magnifiques vêtements des patriarches figure une lettre correspondant à un chiffre en syriaque. La découverte tardive d’un texte en syriaque dans la partie inférieure de la fresque nous aide à comprendre le but de ces nombres. Il donne le nom de chaque patriarche en relation avec le numéro correspondant. Ils correspondent aussi à la liste figurant sur le monument à l’intérieur de la grotte de Sainte Marina. Il est important de remercier le Patriarche Estéphanos Douayhi pour cette magnifique pièce de notre histoire, pour son amour pour l’art et la culture, pour ses écrits enrichissants, et pour tout le patrimoine architectural et artistique qu’il nous a laissé.

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