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Le 21 septembre, l’Arménie – qui compte plus de quatre mille ans d’histoire -, a fêté le 31ème anniversaire de son indépendance. Un grand événement dans la vie de ce peuple qui a dû fuir les persécutions et vivre en exil depuis plusieurs générations. Le Liban héberge la 8ème diaspora arménienne qui a fêté également cet évènement depuis leur terre d’exil. Chrétiens mais non arabes, les Arméniens incarnent le symbole d’une intégration parfaitement réussie dans le pays du Cèdre. À cette occasion, nous vous proposons cet article qui retrace la présence des Arméniens chrétiens au Liban.

 

Bourj-Hammoud, Quartier arménien au Liban

 

Au XIXᵉ siècle, des vergers entouraient Saïda pour s’effacer progressivement au-delà des premières collines et céder la place aux forêts qui s’étendent jusqu’aux hauteurs de Jezzine. Une alternance de bois de chênes et de pinèdes recouvrait les pentes du Liban et envahissait ses vallées. Ici et là des manoirs, des moulins à eau, des ruines, des caveaux phéniciens et, parfois, le son lointain d’une cloche.

Les entrailles de la Phénicie

Entre 1820 et 1821, alors que Marie-Louis Demartin du Tyrac, comte de Marcellus, parcourait la Grèce et le Levant, il décidait d’explorer les vallons et les forêts surplombant Saïda. La marche n’était pas aisée dans les sous-bois mêlés de rochers, à l’ombre des platanes, des chênes et des cyprès. Il tentait de regagner le littoral en se dirigeant vers le bleu de la Méditerranée qui faisait son apparition ici et là parmi les branchages, lorsqu’il a aperçu un groupe de femmes vêtues à la manière de Didon. Elles étaient enveloppées de longs châles ornés. L’une d’elles s’approchait de lui, ôtait son voile dentelé, et l’interpelait en français: « Si vous êtes catholique, suivez-moi. »

Le comte de Marcellus était un explorateur curieux et passionné. C’est lui qui, en 1820, avait acquis pour la France la Vénus de Milo fraîchement découverte. Chevalier de Malte et de l’ordre du Saint-Sépulcre, sa vie et ses explorations étaient portées par son dévouement pour le christianisme. Comment aurait-il pu ne pas suivre ses dames surgies des entrailles de la Phénicie et qui lui parlaient de catholicisme?

 

Femmes arméniennes ©www.fouman.com Wikimedia Commons

 

Les femmes arméniennes

Le comte s’est laissé absorbé par l’atmosphère mystique dissimulée dans l’opacité du sous-bois. Il a accompagné ces dames qui longeaient le parcours et les cascades d’un ruisseau, pour enfin atteindre un ensemble de grottes et de caveaux creusés par les rois sidoniens.  Parmi les vestiges antiques, était aménagé un autel surmonté de flambeaux, de cierges, de fleurs et d’un calice. Les dames s’étaient toutes agenouillées. Un prêtre s’est avancé, et dit la messe en arménien.

Toutes ses femmes étaient arméniennes catholiques. Il y avait là aussi quelques hommes. Leurs familles avaient progressivement déserté les provinces ottomanes pour se réfugier au Liban. Le comte ne pouvait s’empêcher de remémorer la persécution des catholiques par la Révolution française. Ces conditions, a-t-il écrit dans ses Souvenirs de l’Orient, offraient à la messe plus de recueillement, et aux prières plus de ferveur et de piété.

 

Abraham Pierre Ardzivian. ©Bzommarvank.com

 

Abraham Ardzivian

La présence de ces fidèles sur le chemin du comte de Marcellus n’avait rien d’insolite. Le catholicisme arménien est né simultanément à Venise avec les mékhitaristes de San Lazaro en 1717, et au Liban avec les antonins de Kreim en 1720. Mais c’est au Liban qu’il s’est érigé en Église autonome, dotée de son propre catholicos-patriarche, Abraham Ardzivian, reconnu par Benoît XIV en décembre 1742.

En 1720, l’archevêque Abraham Ardzivian originaire de Aintab, en Cilicie, avait été arrêté par les Ottomans et fait prisonnier sur l’île syrienne d’Arwad. Il n’a pu être libéré qu’en 1722 grâce à l’intervention de la France et aux efforts du drogman de son consulat à Tripoli, le maronite Antoine Torbey. À son arrivée à Tripoli, l’archevêque arménien avait été accueilli par le consul de France, le patriarche des maronites et les antonins arméniens de Kreim.

Le 20 février 1722, il envoyait à Rome une lettre dans laquelle il faisait part de ses doléances et décrivait les persécutions infligées aux chrétiens dans les provinces ottomanes, l’obligeant à trouver refuge au Liban auprès des maronites. « Ceux-ci m’ont reçu avec toutes sortes d’honneurs, a-t-il écrit. Ils m’ont donné des terres et de l’argent, avec lesquels j’ai construit un couvent dédié au Saint Sauveur. »

 

Évêque des Arméniens et patriarche des maronites. Gravure de 1850 par H. Lalaisse.

 

Notre-Dame de Bzommar

Le premier siège patriarcal arménien catholique était donc provisoirement établi au monastère de Kreim à Ghosta, surplombant la baie de Jounié, avant de se transférer non loin de là, à Bzommar. Il a étendu sa juridiction sur tout le Liban et la Cilicie, puis sur la Syrie-Mésopotamie et l’Égypte. Pour affirmer son attachement au Saint-Siège, le catholicos, à l’instar des patriarches maronites, a ajouté à son prénom, celui de Pierre.

Le choix pour la fondation d’une nouvelle résidence patriarcale indépendante c’est tout naturellement porté sur Bzommar, car appartenant à une région qui est un haut lieu du catholicisme. Ici, y sont réunis les sièges patriarcaux maronite de Notre-Dame de Bkerké, syriaque-catholique de Notre-Dame de Charfé, et arménien-catholique de Notre-Dame de Bzommar, ainsi que le sanctuaire maronite de Notre-Dame du Liban, et la basilique Saint-Paul des grecs-catholiques.

Bzommar et la principauté

Bzommar allait jouer désormais un rôle de premier plan dans l’histoire libanaise, allant de la principauté, au gouvernorat du Mont-Liban. Le principal conseillé du prince Bachir II le Grand n’était autre que Mgr Jacques Holassian, le vicaire patriarcal sous le catholicos Grégoire-Pierre VI. Il était également le confesseur de la princesse Hosn Jihane, épouse de Bachir II.

Pour ce prince, le patriarcat arménien catholique représentait plus qu’un soutien moral et spirituel. Ayant pressenti la défaite face à un imminent débarquement anglo-ottoman, il a confié le 3 septembre 1840, les trésors princiers au monastère maronite de Richmaya et au patriarcat arménien de Bzommar. Le souverain maronite Bachir II est mort en exil en 1850 et son corps a été inhumé en l’église arménienne catholique de Constantinople.

 

Ohannes Kouyoumdjian. ©Wikimedia Commons

 

Bzommar et le gouvernorat

L’abolition de la principauté libanaise par les Ottomans a causé une série de massacres contre les chrétiens, poussant les puissances européennes à imposer à la Sublime Porte l’autonomie du Mont-Liban. Cette nouvelle entité politique a été connue sous le nom de gouvernorat de la Montagne, soit moutasarriflik en turc. Elle a été célébrée comme la période de la longue paix puisqu’elle a réussi à durer de 1860 jusqu’au déclenchement de la Première Guerre mondiale en 1914.

Le régime du gouvernorat a représenté une aire de stabilité et de prospérité économique et intellectuelle insolite en Orient. Selon le compromis obtenu avec la Sublime Porte, le gouverneur devait être toujours chrétien mais aussi sujet ottoman. C’est ainsi que le premier gouverneur, Garabed Artin Daoudian (1861-1868) et le dernier, Ohannes Kouyoumdjian (1912-1915), étaient tous deux Arméniens catholiques relevant de la juridiction de Bzommar. Bien que sujets ottomans, leur Église a permis leur intégration au Liban, et l’instauration d’un climat de confiance entre le pouvoir et le peuple, qui a contribué à la prospérité de la Montagne.

 

Garabed Artin Daoudian ©Wikimedia Commons

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