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Tur Levnon ( III ) : retour à la source de la langue syriaque

Dans ce troisième article, Amine Jules Iskandar, fondateur de l’association Tur Levnon au Liban pour la préservation de la langue syriaque, nous montre tout particulièrement l’importance de la langue syriaque dans la liturgie Maronite, et nous livre le message qu’elle porte pour le monde d’aujourd’hui.

 

Icône Maronite de Saint Maron. Photo : source

Quelle est l’importance de la langue syriaque pour l’histoire de l’Eglise en général, des maronites en particulier ? Quel est le lien entre langue, culture et liturgie ?

Pour un connaisseur de la langue et de la spiritualité maronite, la lecture des livres de messe actuels est choquante. Dans la dernière édition de 1995, reprise en 2005, les livres de la messe présentaient encore sur chaque page, la traduction arabe en face à face avec l’original syriaque. En consultant les deux versions nous nous rendons compte que l’arabe n’est nullement la traduction de l’original. 

Dans le cas des hymnes chantés il a fallu privilégier le nombre de syllabes afin de préserver le rythme et la mélodie. Le sens du texte devait être abandonné pour adapter la parole à la musique. Ailleurs, pour les prières non soumises aux mélodies, le traducteur affrontait aussi des obstacles insurmontables. Les idées proprement chrétiennes et syriaques n’avaient pas d’équivalent dans la langue des Arabes. Il fallut passer à l’approximation. Dans d’autres cas, même si le mot trouve sa traduction correspondante, celle-ci demeure dépourvue de toute la mémoire et de la dimension sémiologique. C’est toute une imagerie et un héritage culturel inhérent au terme syriaque qui se trouve absent du mot arabe.

Ces pertes, ces lacunes, ces faiblesses, ces imprécisions et cette déconnection du passé font perdre au message religieux et spirituel une bonne partie de son étendue et de sa subtilité, parfois même, l’essentiel. La liturgie en est affectée, notamment dans le chant. Car le syriaque possède cinq voyelles alors que l’arabe n’en connaît que trois. Ce sont deux mouvements qui sont perdus pour être remplacer par des variations ou enjolivements de voix. Or l’enjolivement, et la virtuosité sont étrangers à la mentalité syriaque ascétique et à son approche du Divin. Il y a un éloignement de l’Absolu comme synonyme de Vérité. Toutes ces nuances sont imperceptibles pour le profane alors qu’elles deviennent flagrantes pour un lecteur du syriaque qui en décèle l’importance cruciale.     

Pourquoi pensez-vous que le syriaque est important d’être enseigné dans les établissements scolaires ?

Le syriaque est une langue moderne, car sa syntaxe est moderne. Il est en cela plus facile à enseigner et à employer. L’arabe imposé aujourd’hui dans nos écoles est, comme le Latin, une langue archaïque. C’est-à-dire que pour ces deux idiomes, il est nécessaire de résoudre mentalement des problèmes grammaticaux afin de pourvoir former les phrases correctes à l’oral. En effet, le mot n’est pas le même selon qu’il est sujet ou complément d’objet. De même le mot n’est plus le même dans son mode singulier ou pluriel. Dans les langues modernes, le terme ne change pas, excepté pour la dernière lettre. Ainsi, en français et en anglais, il suffit de rajouter un « s » final pour le pluriel. Ailleurs la forme du masculin singulier est un « o » qu’il suffit de remplacer au pluriel. Prenons pour exemple le mot « arbre » qui en italien « albero » devient « alberi », et en syriaque « ilono » devient « iloné ». Et ce terme restera le même peu importe sa fonction dans la phrase. 

A cela il faut rajouter que les livres de mathématiques, astrologie, astronomie, physique, chimie, philosophie, poésie, géographie, histoire, botanique, géologie, etcetera, transmis par les Arabes à l’Occident étaient tous traduits de versions originales syriaques (reprises du grec). C’est donc une langue déjà prête à affronter les défis du XXI° siècle. Dans sa syntaxe et dans son répertoire terminologique elle est tout à fait à jour. 

Son enseignement sera facile au Liban. Pour celui qui connaît le syriaque et le dialecte libanais, les similitudes sont flagrantes. La syntaxe est la même, la conjugaison est la même, ainsi qu’une bonne partie du vocabulaire. Il est beaucoup plus facile de passer du libanais au syriaque que du libanais vers l’arabe. Car le libanais est, à l’origine, un dialecte du syriaque et non de l’arabe.

Plus rien ne peut justifier le refus d’enseigner cette langue dans nos écoles. Aucun autre vocable n’est mieux adapté à nos besoins et à l’expression de nos aspirations profondes. Le vocabulaire syriaque est né pour signifier et révéler les pensées, les idées et les concepts propres à notre spiritualité et à la forme particulière de notre foi chrétienne et de notre mentalité. Sa perte sera, à la fois, une perdition de notre identité et celle de notre spiritualité qui entraineront une réelle remise en question de notre existence même. 

Icône Maronite de Saint Simon le Stylite. Photo : source

Quel message votre association et la langue syriaque apporte au monde entier aujourd’hui ? 

La même erreur commise par les Libanais en 1943 est entrain de se produire aujourd’hui sous nos yeux en Europe. Il y a en France notamment, une remise en question de l’identité française et de son histoire. Il y a un refus et un rejet du mythe fondateur sans lequel il n’y a pas de nation. Or la valeur de la nation est elle même remise en question au profit du concept de la mondialisation. Le manque de maitrise de la langue française dans le cas d’une partie de la jeunesse française ne peut être pris à la légère. La langue est fondatrice de l’identité. Sa déstabilisation peut entrainer des conséquences démesurées et insoupçonnables. 

La culture française ou celle de l’Europe ne doit plus être sous-estimée. L’importance et le sens de la famille non plus. Le reniement de l’histoire chrétienne de l’Europe et de ses traditions est un reniement de soi qui mène inexorablement au suicide. L’attachement à son héritage n’a rien à voir avec le racisme ni avec la xénophobie. L’Europe ne doit pas commettre l’erreur des Libanais : l’accueil de l’autre n’a rien à voir avec l’effacement de soi. On ne sacrifie pas son identité pour mieux s’ouvrir à l’autre. Car, s’il est autre c’est bien par sa différence qui le définit. Alors il faut commencer par accepter cette réalité. 

Le reniement du Christianisme fondateur de l’Occident forme un vide spirituel aussi sec que dévastateur. L’être humain, aussi athée soit-il, ne peut vivre sans la dimension spirituelle. Il ne pourra que combler ce vide par d’autres formes de croyances ou de pratiques. L’avenir ne peut être érigé sur l’ensemble des négations de la nation, des frontières, de la culture, de l’identité et de la religion. Car rien ne peut être engendré du néant ou construit sur le scepticisme et le nihilisme. 

Europe, ne te renie pas, il en va de ta survie. Et ton attachement à tes valeurs et à ton passé n’a rien d’incompatible avec les enseignements du Christ.  

Il faut rappeler, écrit le philosophe chrétien Philippe Sers, que l’idée de nation est importante pour la pensée chrétienne. Chaque nation a sa vocation personnelle propre. Chaque nation s’apparente à une personne qui accomplit une mission. L’idée d’une nation-personne ne se construit pas autour d’un projet matériel, mais spirituel [1]Philippe Sers, Icônes et Saintes Images / La représentation de la transcendance, Les Belles Lettres, Paris, 2002, pp. 207-208 .

Souhaitez vous rajouter quelque chose ?

En tant que président de l’Union Syriaque Maronite, Tur Levnon, je tiens à remercier votre site, Terre de Compassion, pour l’intérêt qu’il porte pour notre action qui est existentielle pour le Liban et pour le Christianisme oriental. 

Moryo nvarékh
Le Seigneur vous bénisse 
visiter ici le site Tur Levnon

References

References
1 Philippe Sers, Icônes et Saintes Images / La représentation de la transcendance, Les Belles Lettres, Paris, 2002, pp. 207-208
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